Seance
Korei
Japon, 2000
De Kiyoshi Kurosawa
Scénario : Kiyoshi Kurosawa
Avec : Jun Fubuki, Hikari Ishida, Tsuyoshi Kusanagi, Koji Yakushô
Durée : 1h37
Sortie : 05/05/2004
Dans la banlieue de Tokyo, Jun et Koji forment un couple sans histoires. L’épouse possède des dons de medium qui seront sollicités après le kidnapping d’une petite fille.
LE CERCLE
Dans le flot de yurei ega produits à la suite du Ring de Nakata, Kiyoshi Kurosawa a signé l’un des chefs-d’œuvre de ce renouveau avec Kaïro, où la capitale nippone était décimée par une invasion de fantômes venus du net. Un an auparavant, le cinéaste s’était déjà lancé dans un galop d’essai intitulé Séance, film avec lequel il partage une même volonté de débroussailler un genre surcodé. La principale échelle de qualité entre les deux longs-métrages réside en leur but - Séance, produit pour la télévision, ne jouit pas des largesses (déjà relatives mais parfaitement exploitées) de Kaïro. Il reste ainsi de ce film en particulier un léger goût brouillon, une photo assez fade et quelques effets cheap comme autant de handicaps maquillés par une ingéniosité et un savoir-faire affûtés de la part du réalisateur. Tout d’abord, comme chez Nakata, on accepte les règles esthétiques du genre pour installer le fantôme en lieux connus. La schizophrénie spatiale (opposition entre l’univers urbain et le milieu rural), le motif des portes entre les mondes ou la représentation du spectre sont fidèles à l’imagerie classique, et constituent la charpente sur laquelle seront jouées les notes du renouvellement.
LA REGLE DU JEU
En l’état, l’entreprise est déjà une réussite: Séance distille une horreur diffuse mais extrêmement efficace, et se révèle être un objet formel des plus rigoureux. A l’instar des grands maîtres de l’archipel, Kurosawa utilise le surcadrage pour faire de l’image un fourmillement constant d’informations. La formidable scène où Jun ressent chez elle la présence du spectre en est le meilleur exemple. L’actrice au premier plan est surencadrée par deux portes successives, tandis que la dernière d’entre elles semble appeler la jeune femme à travers à une utilisation expressionniste de la lumière et des effets sonores - ou comment la géométrie du cadre sert l’implacabilité de l’effroi dont les vibrations sont tracées au compas. Comme nombre de ses ancêtres, Séance fait de la gestion des différents espaces un enjeu essentiel dans la rencontre du monde des morts avec celui des vivants, voir l’importance des hautes herbes grignotant la ville, l’envahissement sonore de l’image ou le silence le plus nu pour la déshabiller des prises auxquelles on serait tenté de se raccrocher. Mais si Kurosawa se moule dans les règles écrites, c’est pour mieux les déformer en adoptant un discours qui s’intègre dans la mouvance de ce nouveau genre.
L’AMOUR EN DANGER
Pendant que Nakata, quelques années plus tard, allait faire du fantôme une figure sociale dans Dark Water (explosion du cocon familial, calvaire féminin dans une société patriarcale), Kurosawa avait préparé le terrain avec ce film en particulier. Le réalisateur peint un couple engoncé dans son quotidien morne et vide, sans enfant, et où l’épouse ne songe qu’à fuir sa condition de femme au foyer docile, même pour endosser des habits de serveuse. Le fantôme porte, pour sa part, plusieurs visages: projection d’un désir et d’une frustration, refrain tangible de culpabilité, présence physique du souvenir ou objet révélateur et destructeur du couple. L’accomplissement féminin, lui, ne semble exister au mieux, que dans le fantasme, au pire, dans la supercherie. Et l’époux de refouler ses remords en brûlant son double lors d’une apparition inattendue sur un air de cornemuse… Kurosawa s’amuse ainsi des règles pour nourrir une réflexion qui rejoint celle de ses autres œuvres dans leur noirceur. Même si ici, l’ellipse évite la représentation frontale du chaos, leitmotiv amer dans la filmographie du cinéaste. Et malgré les imperfections évidentes de Séance, l’impact n’en est pas moins fort.