Scott Pilgrim
Scott Pilgrim vs. the World
États-Unis, 2010
De Edgar Wright
Scénario : Michael Bacall, Edgar Wright
Avec : Michael Cera, Mary Elizabeth Winstead, Chris Evans, Brandon Routh
Photo : Bill Pope
Musique : Nigel Godrich
Durée : 1h52
Sortie : 01/12/2010
Scott Pilgrim n’a jamais eu de problème à trouver une petite amie, mais s’en débarrasser s’avère plus compliqué. Entre celle qui lui a brisé le cœur – et qui est de retour en ville – et l’adolescente qui lui sert de distraction au moment où Ramona entre dans sa vie - en rollers - l’amour n’a jamais été chose facile. Il va cependant vite réaliser que le nouvel objet de son affection traîne les plus singulières casseroles jamais rencontrées : une infâme ligue d’ex qui contrôlent sa vie amoureuse et sont prêts à tout pour éliminer son nouveau prétendant.
THE WRIGHT STUFF
Après avoir émergé outre-Manche grâce aux excellents Shaun of the Dead et Hot Fuzz, Edgar Wright a traversé l'Atlantique pour aller poursuivre son périple au cœur de la vie des geeks et adaptant la BD aux accents manga du canadien Bryan Lee O'Malley. Si le film, bazardé en décembre par un distributeur de peu de foi, est précédé d'une glorieuse réputation, il a également dérouté une bonne partie du public, même chez les fans du cinéaste. En faisant le pari d'un parti-pris plutôt particulier, Wright accouche d'une œuvre atypique, improbable hybride entre teen movie indé à tête de Cera et jeu vidéo live mâtiné d'anime. D'emblée, on remarque un rythme à part, parfois peut-être de prime abord malaisé - dans sa manière de condenser les six tomes de la BD en un long métrage de moins de deux heures - mais complètement assumé dans sa dichotomie entre scènes pépères à la maison à base de dialogues entre marginaux (à l'éclairage réaliste et contrasté) et scènes de bastons débordant d'effets spéciaux (à l'éclairage sur-stylisé de flares, de clair-obscurs, etc.), et parfois au sein des scènes d'action même, le metteur en scène opte pour une musique bizarre, diffuse, oppressante, à la Goblins (là où le reste du temps, c'est du rock alternatif ou de l'electro speed), qui pourra donner à certains une impression de mollesse. N'en déplaise aux détracteurs, Edgar Wright a signé ici un bijou. Et la bande originale n'est que l'un des magnifiques outils que l'auteur emploie pour développer ses thématiques habituelles, accentuant toujours plus l'aspect autoréférentiel de son approche et affutant davantage sa mise en scène aiguisée.
WE ARE SEX BOB-OMB
Étant donné que le personnage principal fait partie d'un garage band dont les quelques concerts rythment le film, on ne devrait pas s'étonner de voir la place prépondérante que prend la musique au sein du film. Dans tous les aspects. Il y a, dans un premier temps, l'effort d'être allé chercher de vrais artistes de la scène rock comme Beck ou Metric pour composer les morceaux des groupes fictifs entendus dans le film, ou d'avoir choisi Nigel Godrich, producteur de Radiohead, pour composer le score du film. On note surtout cette influence de la comédie musicale, où les numéros chantés sont remplacés ici par des numéros fightés, avec ce même saut de foi vis-à-vis de la diégétisation de telles séquences, cette même acceptation comme "normal" de quelque chose d'aussi soudain et insolite (les personnages qui se mettent à chanter/combattre pour s'exprimer). Le film n'hésite pas à se frotter au genre, en allant jusqu'à donner dans le Bollywood! Faisant preuve d'une richesse rare pour ce genre de film, Scott Pilgrim revisite un genre - la romcom - en exacerbant les thématiques au point de les illustrer d'un point de vue geek. Comme une version plus poussée du traitement de Shaun of the Dead, qui tenait déjà d'une approche similaire. On a tous dû rivaliser avec les ex de notre nouvelle copine, dans le monde de Scott Pilgrim, il faut rivaliser avec eux LITTÉRALEMENT. Cette transposition littérale (qui est donc déjà le concept du matériau de base) est une trouvaille originale et futée. La démarche étant de donner une forme humaine au bagage émotionnel pour tourmenter le protagoniste (un peu comme Marion Cotillard dans Inception) et de le confronter à ses propres démons pour l'amener à évoluer, quitte à ce que ce soit par le biais de son geekisme (vu que ce "combat" prend l'apparence de combats de jeux vidéos ou de japanime).
CERA C'EST PLUS FORT QUE TOI
D'autant plus que ça ouvre au récit et au cinéaste mille et une possibilités narratives et formelles. C'est simple, Scott Pilgrim, c'est presque une idée à la minute. Dès le logo Universal 8 bit jusqu'au "The End" au bout du générique de fin en passant par le carton-titre et toutes les transitions elliptiques du début, conférant à l'ensemble un côté presque onirique, et tous ces détails qui fourmillent, nécessitant presque une deuxième vision pour tout capter. Wright s'en donne à cœur joie avec ses cartons de comic book et sa voix off de jeu vidéo, les deux références les plus évidentes, mais il ne manque pas de taper dans le métafilmique, rien qu'au niveau du casting. On pouvait redouter un Michael Cera en mode automatique et finalement il parvient à naviguer entre son habituel jeu de mec flippé/paumé et les phases plus speed et nerveuses du protagoniste tel qu'il était sur papier. Sans oublier le côté connard, sans doute l'aspect le plus sous-estimé du personnage d'ailleurs, parce que l'on capte pas forcément que c'en est un, malgré tout ce qu'il fait, et cette ambivalence rend le personnage plus intéressant et pertinent que nombre de ses prédécesseurs du genre. Au même titre que le personnage de Ramona. L'essai se montre très juste sur la nature volatile, indécise et souvent sous l'emprise d'un ex, des femmes. Embaucher Cera n'est pas innocent. Quelque part, le film est un pied de nez à toutes ces comédies indépendantes et/ou films pour mecs pseudo-branchés. Le film veut casser du hipster (comme l'indique une piste de la BO intitulée "Death to All Hipsters") et tout un pan de l'humour du film joue notamment là-dessus. Jason Schwartzmann étant un peu l'incarnation ultime de ce cinéma-là (Wes Anderson et compagnie), il n'est pas étonnant de le voir jouer le grand méchant. Quant à Chris Evans et Brandon Routh, ils ne sont pas là par hasard. Faire affronter Scott avec deux acteurs ayant joué des superhéros (la Torche Humaine et Superman respectivement) ne fait qu'amplifier le prisme geek par lequel le protagoniste (et donc le cinéaste et donc le spectateur) voit le monde. Non content de proposer une adaptation fidèle et réussie du roman graphique, Wright apporte également son lot d'idées, issue du même univers, que ce soit dans la musique ou dans le casting, dans la narration (la condensation ou la divergence avec certaines scènes de la BD), dans les gags (le coup du jeu vidéo auquel jouent Scott et Knives au début est une idée absolument géniale) et surtout dans la mise en scène, qui ne se repose jamais sur ses lauriers. Scott Pilgrim est sans doute le film de son réalisateur le plus à la lisière de l'expérimental, des transitions aux onomatopées en passant par les split-screen, Wright n'invente rien mais recycle tout, y compris son propre style hypercut, comme un grand.