Saveur de la pastèque (La)

Saveur de la pastèque (La)
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Saveur de la pastèque (La)
Tian Bian Yi Dou Yun
Taïwan, 2004
De Tsai Ming-Liang
Scénario : Tsai Ming-Liang
Avec : Hsiao Huan-Wen, Lee Kang-Sheng, Yang Kuei-Mei, Chen Shiang-Chyi, Yozakura Sumomo, Lu Yi-Ching
Photo : Pen-Jung Liao
Durée : 1h52
Sortie : 30/11/2005
Note FilmDeCulte : *****-
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Une terrible sécheresse s’est abattue sur Taiwan, les habitants vivent confinés dans leur appartement et sont invités à remplacer l’eau par le jus de pastèque. Une jeune femme solitaire se lie d’amitié avec un voisin, sans savoir que celui-ci tourne des films pornos dans le même immeuble.

La Saveur de la Pastèque - Bande Annonceenvoyé par wildbunch-distrib. - Les dernières bandes annonces en ligne.

LA POUPEE QUI FAIT NON

L’eau fétide (La Rivière), la pollution et le déluge (The Hole) ont finalement donné naissance à une nouvelle plaie météorologique, la sécheresse. Le mur était tombé, le fossé amoureux semblait résolu; Lee Kang-Sheng et Yang Kuei-Mei joignaient leurs mains et s’élevaient dans les airs pour une dernière valse. Dans La Saveur de la pastèque, Tsai Ming-Liang coupe l’eau et tout espoir de survie. Les media s’emballent et affichent un avant-goût de la fin du monde. Taiwan redevient un trou noir, quelques ouvriers continuent de goudronner la terre et de lustrer des HLM sans âme. L’eau soudain rationnée va naturellement de pair avec l’aridité des sentiments. Privés d’amour, les corps ne sont plus que des coquilles vides, qui s’agitent en vain pour retrouver un semblant d’humanité. La sécheresse exacerbe le manque, Tsai inonde la chair de désir et croque dans le fruit défendu. La détresse et le mutisme d’une jeune femme se diluent alors dans la jouissance simulée d’une actrice de film porno. La dichotomie voisin / voisine, contenant / contenu, calquée sur celles de Vive l’amour et The Hole, favorisent les méprises et imposent la même errance. Les êtres se croisent, se recroisent, mais ne se reconnaissent pas. Hsiao-Kang (Lee Kang-Sheng, indispensable et merveilleux fil rouge de ces no man’s land), n’a plus personne à qui vendre sa montre et offrir son affection. A la tête d’une équipe fauchée de films X, c’est lui qui est à son tour disséqué, essoré, imperméable à toute émotion.

SOUS LA PEAU

Tsai Ming-Liang a gardé la pastèque, celle avec laquelle un garçon jouait au bowling dans Vive l’amour. Tranchée en deux, écrasée en petits morceaux, roulée d’une chambre à l’autre, elle désamorce la violence d’une humiliation et rappelle la dimension burlesque d’une signature toujours plus épurée. Les couples désœuvrés ne soufflent mot, la désolation est telle qu’ils sont réduits à l’état d’insectes ou de végétaux. Mais c’est au travers de ce silence et de ce dénuement que le cinéaste décèle un reste de tendresse et rit de son propre malheur. Les ondulations d'un baigneur transformé en dragon des mers, une mousse aventureuse qui s'écoule d'un robinet pourraient suffire à noyer son chagrin. La comédie musicale et les bulles colorées des années 60 ne subvertissent pas seulement une réalité carcérale, à la manière de The Hole. Ils canalisent les frustrations, rafraîchissent le souvenir d'une passion enfouie, là où une Japonaise déguisée en infirmière et un acteur las copulent machinalement. L'exubérance des parenthèses chantées ramène l'équipe de tournage à sa futilité. Chez Tsai Ming-Liang, la pornographie concerne d'abord des corps asséchés et désarticulés, qu'on traîne comme des cadavres. Le déguisement de l'actrice n'est pas innocent; le fantasme du milieu hospitalier lui inspire une vision chirurgicale du sexe. Tsai ne montre rien, il suggère par les frottements meurtris de la peau. Périmé d'avance, le corps devient purement utilitaire: simple entonnoir et inévitable précipice.

A CIEL OUVERT

Hsiao-Kang dort sur une balançoire. Shiang-Chyi s’assoit en face de lui, elle le dévisage. Les seuls dialogues du film seront échangés à cet instant-là, en apesanteur et dans un semi-coma. Tsai Ming-Liang n'a pas besoin de leur en faire dire davantage, puisque les deux, jusqu'alors isolés, étrangers à eux-mêmes, se sont reconnus. La rencontre (et la délivrance, miraculeuse) fait à la fois référence à Et là-bas quelle heure est-il? et au titre original du film, "Un nuage au bord du ciel". Tout le cinéma de Tsai tend vers cette rencontre. Une main qui tend un verre d'eau (The Hole), une main qui se rapproche d'un père absent (La Rivière), un nuage qui se fond à un autre, une entaille qui s'élargit en brèche. La Saveur de la pastèque est le récit d'un apprentissage. Un homme et une femme réapprivoisent leur corps, leurs émotions, reprennent possession d'une vie parasitée par le fantasme des autres. Le saisissant bouquet final force la cadence et réunit tous les acteurs du drame, l'équipe de films pornos, le jouet cassé et la spectatrice passive. Mais Tsai inverse les rôles, abat un à un les cloisons pour annuler les distances. Le corps évanoui de l'actrice n'est plus qu'une poupée gonflable, ses gémissements ont été remplacés par ceux de Shiang-Chyi, qui pleure autant qu'elle crie de douleur. Dans une dernière étreinte désespérée, Tsai Ming-Liang sauve les amants de l'indifférence.

par Danielle Chou

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