Saint-Ange
France, 2004
De Pascal Laugier
Scénario : Pascal Laugier
Avec : Lou Doillon, Dorina Lazar, Virginie Ledoyen, Catriona MacColl
Durée : 1h39
Sortie : 23/06/2004
Fin des années cinquante, dans les Alpes françaises. Anna est chargée de nettoyer Saint-Ange, un orphelinat qui vient d’être vidé de ses jeunes occupants. Mais les murs semblent encore habités par quelques inquiétantes voix d’enfants.
L’ECHINE DES ANGES
Pascal Laugier, homme sous influence, plonge dans la nuit de tous les mystères. Sa vieille bâtisse perdue dans les hautes herbes est désolée mais semble vivre encore de ses quelques bruissements. Les traumatismes sont gravés dans le dos et poussent à la fuite, le mur ou le miroir dissimulent leurs arcanes, noyés ou enterrés, endormis par les années et le lit de poussière qui les a recouverts. A Saint-Ange, on ne se remet plus des fantômes, il y a un passé qui pèse dans le ventre, dans le crâne ou dans chacune des pièces. Un parfum de mort dans le berceau des anges qui ont laissé leurs jouets s’abîmer dans le jardin, leurs dessins morbides s’entasser sur un tableau, des billes rouler sur le plancher. Le temps suspendu accueille ses fantômes: une domestique au passé lourd comme du plomb, une folle qui en a trop vu, une gouvernante qui préfère oublier, ou une Mrs Danvers trop occupée à cultiver ses secrets. On panse encore les plaies d’une France d’après-guerre pour qui il est plus commode d’ignorer les énigmes en sous-sol, les jeunes filles engrossées, les esprits malades – quelques cachets suffisent d’ailleurs à contenir la folie qui guette. Alors Anna réveille les couloirs zigzagants du labyrinthe gothique, pour trouver les réponses à ses questions, qu’importe si elles n’appartiennent plus qu’au domaine du fantastique.
DE L’AUTRE COTE DU MIROIR
Saint-Ange se perd d’abord quelque peu dans ses ficelles à portes qui claquent, reliquat d’un genre respecté avec un premier degré des plus religieux, mais qui donne parfois des signes d’essoufflement. La tension naît davantage des rébus et des ambiguïtés, du puzzle obscur qu’il faut reconstituer. Et surtout d’un sens visuel dont le rouge sang gicle sur la toile blanche du film. L’Alice de Laugier, robe noire, ventre gonflé, fait face à un miroir qui ressemble plus à une bouche aux dents gigantesques, prête à avaler quiconque oserait s’aventurer sur sa langue glissante, poisseuse, le point de départ d’une chute vertigineuse vers les enfers, fulgurance graphique d’une puissance proprement fabuleuse. Saint-Ange bascule alors du Henry James à écrou au All is Full of Love björkien, nourrit son énigme d’une étrangeté pourpre, glaciale, inattendue, purement fantastique. Une peur organique, des tiraillements mentaux et une grossesse hantée dans l’œil du cyclone. Laugier manie sa terreur psychologique en parfait équilibre entre désir et répulsion, et teinte les cauchemars de son héroïne d’un écho intime qui résonne sur tous les murs de Saint-Ange. L’esprit torturé et mis à nu dans son théâtre d’Argento, le ventre meurtri d’un Polanski qui se querelle avec ses démons. L’essai est confus, imparfait, mais les vigueurs du premier film font attendre la suite.