Rogue One: A Star Wars Story
États-Unis, 2016
De Gareth Edwards
Scénario : Tony Gilroy, Chris Weitz, Gary Whitta
Avec : Riz Ahmed, Felicity Jones, Diego Luna, Ben Mendelsohn, Mads Mikkelsen, Jiang Wen, Forest Whitaker, Donnie Yen
Photo : Greig Fraser
Musique : Michael Giacchino
Durée : 2h13
Sortie : 14/12/2016
Situé entre les épisodes III et IV de la saga Star Wars, le film nous entraîne aux côtés d’individus ordinaires qui, pour rester fidèles à leurs valeurs, vont tenter l’impossible au péril de leur vie. Ils n’avaient pas prévu de devenir des héros, mais dans une époque de plus en plus sombre, ils vont devoir dérober les plans de l’Étoile de la Mort, l’arme de destruction ultime de l’Empire.
AVERTISSEMENT : ce texte ne contient pas de spoilers à proprement parler mais comporte quelques informations précises nécessaires à l'évocations de certaines thématiques.
DIEU EST GRAND ET JE SUIS TOUT PETIT
Comme son titre l'indique, Rogue One : A Star Wars Story n'est pas un "Épisode" de la saga telle qu'on la connaît. Si vous lisez ces lignes, vous le savez sans doute déjà mais il s'agit d'un spin-off situé juste avant le film original de 1977. Lorsque Disney a racheté Lucasfilm et annoncé vouloir relancer la licence créée par George Lucas notamment par le biais de spin-offs, l'overdose était à craindre. Un Star Wars par an? De quoi transformer une série iconique en non-événements, un peu comme les moins bons Marvel, blockbusters qui doivent leur efficacité à une relative standardisation. Toutefois, si l'on en juge par les deux films sortis jusqu'à présent, ce qui distingue Lucasfilm de l'autre compagnie rachetée "par Mickey", ce sont les cinéastes choisis. J.J. Abrams, Gareth Edwards, Rian Johnson, Phil Lord & Chris Miller...autant de jeunes réalisateurs qui, en une carrière de quelques films à peine, ont déjà instauré une patte, qu'elle soit thématique, esthétique ou les deux - Colin Trevorrow étant l'exception qui confirme la règle. Toutefois, là où certains devront tout de même respecter une certaine charte sur les fameux "Épisodes", les metteurs en scène à la barre de ces aventures isolées jouissent d'une plus grande liberté quant au ton qu'ils peuvent conférer à leurs films. Et Edwards ne fait pas mentir cette belle promesse, signant un véritable film de guerre indéniablement empreint des obsessions thématiques dont témoigne déjà sa pourtant courte filmographie, incarnées visuellement dans une œuvre abordant politique et religion.
Un coup d’œil aux noms qui composent l'équipe du film suffit à en dire long sur la démarche d'Edwards. En plus du directeur de la photographie de Zero Dark Thirty, le réalisateur s'est entouré d'artistes ayant travaillé sur Il faut sauver le soldat Ryan et Black Hawk Down. Le film comporte plus de plans à l'épaule que tous les films de la franchise réunis. Sans verser dans du cinéma-vérité granuleux comme certains des exemples suscités, Rogue One choisit toutefois de s'éloigner quelque peu des canons formels de la saga pour se forger sa propre identité, à hauteur humaine. En bon héritier de Steven Spielberg et notamment de La Guerre des mondes, Edwards adoptait déjà dans ses deux premiers longs métrages un point de vue humain sur des événements plus grands que nature, gardant toujours l'homme au premier plan, le gigantisme du surnaturel au second. Un point de vue qui se traduit ici jusque dans l'image. Contrairement à Abrams, Johnson et Trevorrow, ce spin-off n'est pas tourné en pellicule. Tandis que ses collègues cherchent à renouer avec le parfum de la trilogie originale, Edwards ose le numérique tant vilipendé sur la prélogie. Néanmoins, il le fait de façon intelligente et justifiée. Outre le recours à de vrais décors en dur, Edwards tourne avec la petite dernière de chez Arriflex, l'Alexa 65, utilisée notamment sur The Revenant, mais y ajoute un objectif Ultra Panavision, le même que sur Les 8 salopards, de façon à obtenir un Scope anamorphique avec une profondeur de champ plus proche de la pellicule tout en gardant une résolution d'une clarté redoutable. Ainsi, Edwards efface le vernis de l'heroic fantasy spatiale qui caractérisait Star Wars jusqu'à présent pour un film ancré dans le réel, vu à travers les yeux de simples mortels.
Si la diversité du groupe central de personnages est un manifeste politique en soi (une femme, un mexicain, un pakistanais, deux chinois...et un robot), c'est le refus du manichéisme dans leur caractérisation et l'inversion ou perversion des archétypes de la saga qui s'avèrent réellement pertinentes vis-à-vis de l'approche tonale d'Edwards. "Luke est un gars qui grandit dans un foyer paisible et rêve de rejoindre le combat donc Jyn est une fille qui grandit dans la guerre et rêve de retrouver à un foyer paisible." Plutôt que de faire du fan-service, dont le film n'est cependant pas exempt comme en attestent deux clins d'oeil franchement gratuits et superflus, cet écho symbolise le parti-pris du film. Même chez les rebelles, personne n'est tout blanc. Ainsi Cassian Andor est un résistant qui ridiculise les atermoiements sur le fait que Han tire en premier dans Un nouvel espoir et le simili-C-3P0 du film est un tueur. Un résistant extrémiste est même ouvertement rapproché de Darth Vader tandis qu'un interrogatoire rappellerait presque L'Armée des ombres version Star Wars. Nous sommes en temps de guerre. Et le personnage le plus intéressant du film, Galen Erso, s'inspire directement d'une figure célèbre de la Seconde Guerre Mondiale : J. Robert Oppenheimer. En voyant le premier essai nucléaire effectué à la base de Los Alamos, le père de la bombe atomique cita le Bhagavad Gita: "Maintenant, je suis devenu la Mort, le destructeur de mondes." Par la suite, Oppenheimer regretta sa participation à la course à l'armement et souhaita voir l'arme nucléaire bannie avant d'être soupçonné de liens avec les communistes. Chez George Lucas, l'Empire était clairement assimilé aux Nazis mais dans Rogue One, dont le nom de code au sein de Lucasfilm durant la production était Los Alamos, ce nouveau parallèle assimile plutôt l'Empire aux États-Unis. Une allégorie politique pour le moins couillue...et qui ne s'arrête pas là.
"Si dans le ciel se levait tout à coup la Lumière de mille soleils, elle serait comparable à la splendeur de Dieu." C'est l'autre citation, moins connue, qu'a faite Oppenheimer du Baghavad Gita, évoquant à la perfection l'image de l'explosion nucléaire...ou de celle provoquée par l'Étoile Noire. D'une splendeur similaire à celle du divin à l'heure où le divin a semblablement déserté l'univers. "C'est un film sur le fait que Dieu ne va pas venir nous sauver." Par ces mots, Gareth Edwards énonce le propos du film. Les Jedi ont disparu mais leur absence pèse sur tout le récit. Si les personnages sont décrits plus haut comme de simples mortels, c'est précisément parce qu'il ne s'agit pas de Jedi. Rogue One s'intéresse aux autres et à leur monde à eux, celui à la périphérie de la saga principale, de l'Histoire des Skywalker. L'une des idées les plus fortes du film réside dans la planète Jedah. "Si Un nouvel espoir est en quelque sorte l'histoire de Jésus alors il doit y avoir toute une religion au-delà (...) donc il doit y avoir une Mecque ou une Jérusalem au sein du monde de Star Wars. Cela paraissait très actuel d'avoir une situation où l'Empire, pour ses propres raisons, s'imposait sur ce qui représente beaucoup pour l'aspect spirituel de Star Wars." L'oppression d'une religion par un gouvernement peut renvoyer une fois de plus aux Nazis mais étant donné la référence directe à La Mecque que fait Edwards, que ce soit en interview ou dans le film, où Jedah ressemble à une ville du Moyen-Orient, avec son souk, son sable, ses pèlerins voilés de la tête aux pieds, et l'idée qu'un gouvernement occupe un territoire pour des raisons matérielles, la religion opprimée s'apparente davantage à l'Islam et l'oppresseur que représente l'Empire s'apparente donc une fois de plus aux États-Unis. Par ailleurs, durant tout le film, on dit "Que la Force soit avec vous/nous" comme on dit "As-salāmu ʿalaykum" ou "Inch'Allah" ou même "Allahu akbar", selon le contexte. On porte un signe ostentatoire autour du cou. On se demande si quelqu'un nous écoute là-haut. On s'en remet à la spiritualité, à une force supérieure, à LA Force. Rogue One est l'histoire de résistants qui essaient de se sauver eux-mêmes tout en gardant la foi alors que les Jedi ne sont plus et que tout semble perdu.
On pourrait croire que c'est son passé de spécialiste en effets visuels qui a mené Gareth Edwards à passer à la réalisation avec des docufictions sur diverses éventualités de catastrophes naturelles - End Day (2005) et Perfect Disaster (2006) - nécessitant forcément beaucoup d'effets spéciaux, mais il semble évident au vu de ses films de fiction que la notion d'apocalypse imminente préoccupe spécifiquement le cinéaste. Dans Monsters, un couple naissant tente de passer du Mexique aux États-Unis à pied tandis que la double-présence de gigantesques créatures extra-terrestre et de l'armée menace de les écraser. Dans Godzilla, le monstre éponyme incarne une sorte de Dieu de la nature venue corriger l'erreur née d'un désastre du type de Fukushima, à savoir des kaiju, et l'humanité est prise entre ces deux feux. Situé à l'aube de la mise en route de l'Étoile Noire, arme de destruction massive s'il en est, Rogue One est parcouru du même sentiment de fin du monde où l'humain est tout petit. C'est là que l'on retrouve le plus clairement le style du metteur en scène et son sens de l'échelle. Un gigantesque croiseur interstellaire fait du rase-motte au-dessus d'une ville, avant de se retrouver microscopique à côté de l'Étoile Noire, elle-même gravitant autour d'une planète... On est constamment renvoyés à l'infiniment grand, à notre place infinitésimale dans l'univers, simples mortels. Que pouvons-nous face à d'immenses AT-AT ou au souffle dévastateur d'une explosion qui s'élève jusque dans l'espace? Que pouvons-nous à part traverser la galaxie pour s'unir? Tout la polémique autour des reshoots, supposément intensifs et peut-être même dirigés par un autre cinéaste, Tony Gilroy (scénariste des Bourne, réalisateur de Michael Clayton), paraît vaine au vu d'un film aussi imprégné de la marque de son auteur. On devine aisément que les corrections de tir concernaient les personnages, bons sur le papier mais pas toujours incarnés, trop bavards, et la mécanique du récit, parfois laborieuse, mais en dépit de ces quelques défauts, Rogue One a le bon sens de se terminer dans un acte de bravoure qui transcende soudainement tout ce qui a précédé. La nature du climax a beau ne pas être très originale, le troisième acte va crescendo jusqu'à dix dernières minutes absolument folles, dans l'action comme dans l'émotion et surtout, dans le propos, achevant de faire de Rogue One un Star Wars pas comme les autres.