Road to Guantanamo (The)
Royaume-Uni, 2006
De Mat Whitecross, Michael Winterbottom
Avec : Riz Ahmed, Fahrad Harun, Shahid Iqbal, Sher Khan, Jason Salkey, Arfan Usman
Durée : 1h35
Sortie : 07/06/2006
Septembre 2001, Birmingham. Asif Iqbal part au Pakistan pour rencontrer sa future femme et arranger les détails de leur mariage. Il invite ses amis Ruhel, Shafiq et Monir à venir célébrer ses noces. Ils se retrouvent tous les quatre à Karachi et lors d’une visite dans une mosquée, acceptent la proposition d’un imam de se rendre en Afghanistan pour aider la population locale. Le sens de l’aventure des jeunes hommes ne résiste pas à cette invitation. Au terme d’un long voyage, c’est l’enfer qui commence avec les incessants bombardements contre les talibans. Voulant rejoindre le Pakistan, ils se font arrêter et après des semaines de détention, sont envoyés à Cuba. Tous sauf Monir, qui a disparu avec un convoi de prisonniers. Il ne sera jamais retrouvé. Malgré cette arrestation arbitraire et l’absence de preuves, ils ne retrouveront leur liberté qu’après deux ans de détention.
ABOVE THE LAW
Difficile de sortir indemne de la projection du nouveau film de Michael Winterbottom, tourné en collaboration avec Mat Whitecross, son monteur de 9 Songs. En effet, difficile de s’imaginer qu’il ne s’agit pas d’une fiction dont une des scènes semble d’ailleurs tout droit inspirée d’Orange mécanique. Difficile de s’imaginer que la première puissance économique mondiale ait la prétention de se situer au-dessus des lois et de bafouer en toute impunité la Convention de Genève. Car effectivement la base de Guantanamo Bay porte atteinte aux droits de l’homme et devrait de ce fait être depuis longtemps fermée. Tout le monde est au courant qu’elle existe et qu’une nouvelle prison de 34 millions de dollars sans une seule fenêtre mais avec d’excellentes normes sanitaires et médicales est en construction, mais elle est comme passée dans les mœurs et rien ni personne ne semble avoir une autorité suffisante pour la faire fermer. L’ombre toujours plus menaçante du terrorisme est tellement présente qu’elle justifie son existence, car ce sont les plus dangereux terroristes du monde qui y sont détenus… à ce qu’on nous dit. Le docu-fiction des réalisateurs britanniques apportent un sérieux démenti à cette affirmation. En effet, les jeunes gens qui retracent leur passage dans un des cercles de l’enfer sont des adolescents comme il en existe des millions de part le monde, leur seul tort fut de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.
LA FORCE DES IMAGES
Après les réfugiés de In This World, Michael Winterbotton s’attaque une nouvelle fois à un sujet dont personne ne veut voir la réalité en face. Ce docu-fiction est composé d’images d’archives, d’interviews d’Asif, Ruhel et Shafiq et de la reconstitution de leur odyssée nouvellement filmée avec des acteurs non professionnels. Michael Winterbotton et Mat Whitecross, qui ont également monté le film, voulaient mélanger les trois supports car c’était pour eux le moyen le plus efficace et le plus simple de transcrire le plus fidèlement cette histoire. Ce documentaire traite d’ailleurs uniquement de l’expérience de ces trois garçons et, si à la fin du film il est fait mention que l’une des personnes chargées des interrogatoires s’est fait passé pour un Anglais mais était toutefois Américain, ce n’est pas pour excuser les Anglais mais bien pour montrer à quel point c’est une issue complexe et dénoncer les procédés utilisés pour manipuler les prisonniers qui "s’ils sont gardés assez longtemps en isolation, finissent toujours par craquer". La déclaration de George W. Bush au début du film est tout aussi édifiante mais, comme l’a déjà prouvé Michael Moore, facilement détournable. Le témoignage direct des trois jeunes gens par contre non. Ils sont des témoins directs, ils ont vécu l’enfer et en sont revenus. Avec une résistance qui force le respect, ils ont survécu à l’hallucinant traitement réservé aux prisonniers de Guantanamo. Shafiq cite même Nietzsche: "Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort". Plus fort c’est indéniable, mais également traumatisé par un véritable procédé de déshumanisation et un an et demi après sa libération, Sahfiq a la gorge serrée et les yeux embués de larmes alors qu’il parle de son calvaire lors de la conférence de presse pour la présentation du film.
HISTORY REPEATING?
S’il a trouvé le courage de faire ce film et de témoigner devant les journalistes, ce n’est pas pour se mettre en avant mais bien pour apporter son soutien à tous les prisonniers qui se trouvent encore là-bas. Pour que le monde sache vraiment ce qui se passe derrière les grillages et réalise que sous les tristement célèbres combinaisons orange se trouvent des hommes innocents qui, s’ils ne perdent pas la raison avant, finissent par avouer tout et n’importe quoi pour que le supplice s’arrête, à moins qu’ils ne choisissent le suicide. Le film est sorti simultanément dans les salles et à la télévision en Grande-Bretagne afin d’avoir dès le début le plus grand impact possible auprès de la population. S’il faut encore ajouter une raison pour qu’il soit diffusé le plus tôt et le plus largement possible, que ce soit celle-ci: sur le panneau à l’entrée du Camp Delta de Guantanamo se trouve un panneau sur lequel on peut lire une déclaration à propos de l’honneur que les Américains ont à défendre la liberté ("Honor Bound to Defend Freedom"). Il y a plus de soixante ans de cela dans un camp en Pologne, c’est le travail qui était censé rendre la liberté ("Arbeit macht frei").