Rétribution

Rétribution
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Rétribution
Sakebi
Japon, 2007
De Kiyoshi Kurosawa
Scénario : Kiyoshi Kurosawa
Avec : Manami Konishi, Jô Odagiri, Koji Yakushô
Durée : 1h44
Sortie : 29/08/2007
Note FilmDeCulte : ******
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Le détective Yoshioka enquête sur plusieurs meurtres qui semblent liés entre eux. Chaque victime est découverte noyée, le corps rempli d'eau salée, cette même eau qui menace d'engloutir des quartiers désaffectés des alentours de Tokyo au prochain tremblement de terre.

APOCALYPSE NOW

Rétribution ne connaît pas de tour de chauffe et s’ouvre sur une empoignade, robe rouge violemment écrasée dans la boue de la ville, ce décor de décrépitude industrielle qui constitue un motif récurrent dans l’œuvre inquiète de Kiyoshi Kurosawa, et qui complète la vision entamée avec Kaïro, son chef d’œuvre. Soit la peinture d’une société courant droit vers l'apocalypse, remuée par des tremblements de terre, au ciel étrangement traversé par une nuée d'oiseaux noirs, et dont les zones industrielles dévorantes, omniprésentes, rappellent la scène mutante, en friches, d'usines abandonnées de son film le plus connu. Il se dégage la même atmosphère très dense, pesante, d'angoisse urbaine, de fin de civilisation, de chaos nécessaire et de fuite vers l'inconnu, quelque chose que Kurosawa maîtrise à merveille. Cela installe dès l’intro une intensité quasi ininterrompue pendant 1h45, un sentiment d'étouffement duquel s'échappe un hurlement insupportable comme la plainte du titre original (Sakebi), qui vient déchirer, de rouge vêtu, le paysage hanté de décadence livide et boueuse. A cet égard, Rétribution se fait un peu le croisement réussi du polar de Cure et du fantôme de Séance.

ESPRITS REBELLES

Comme toujours chez Kiyoshi Kurosawa, en opposition, par exemple, avec un Takashi Shimizu, le fantastique est avant tout utilisé comme un moyen (marque de culpabilité dans un couple de film noir qui se délite dans Séance, sentiment de déshumanisation et de solitude urbaine dans Kaïro), jamais vraiment comme une fin. D’où, d’ailleurs, son statut un peu bâtard d’auteur de série B sans l’être véritablement. Ici le fantastique est le moyen choisi pour dresser le portrait d'un détective défait, tourmenté par son passé, et en totale perte de repères. Koji Yakusho, poumon droit de Kurosawa, impose naturellement sa stature dans un rôle d'homme usé qui, lors d'une secousse sismique, protège avant tout sa bouteille de whisky. Le fantôme est une réminiscence, une "mémoire de la disparition" comme l’écrit Diane Arnaud* dans son excellent ouvrage consacré au réalisateur. Ce même fantôme flottant au-dessus de la ville absurde qui s’est développée, comme un kyste, sur une terre oubliée, et rappelée par ses esprits. Rétribution jongle avec son mood parano dépressif, où les incertitudes sinusoïdales de l'enquête polar (fausses pistes, mystérieuses obsessions) se nourrissent du fantastique qui en est la trouble matérialisation (jeu de doubles, fantôme du passé). Comme une correspondance logique entre deux genres qui cohabitent dans le film et se répondent.

FANTOMES CONTRE FANTOMES

L’art de Kurosawa poète, c’est cette façon de faire appel à l’imaginaire, comme un fantôme jaillirait, par effraction, d’une fissure creusée dans un mur, cette façon de mettre en scène le surnaturel, avec pratiquement rien. Sans aucun sabot, juste de tout petits souliers. Cette façon surtout de diriger le regard qu'il y a dans Séance avec l'utilisation de la lumière, dans Kaïro avec l'utilisation des couleurs, ou ici avec l'utilisation des miroirs. La caméra ne se disperse jamais et pose toujours le spectateur dans une position d'action, de stimulation, contrairement au rollercoaster d'horreur qui met dans la peau du personnage se cachant dans un placard en attendant le bouh. A ce jeu, Rétribution est fort, et compose quelques très bonnes scènes flippantes, parvenant, comme un Nakata à son meilleur, à rendre inquiétante une surface d'eau troublée par quelques secousses. Des secousses qui viennent d’un environnement qui s’effondre, ou d’un séisme intérieur, l’un et l’autre se rejoignant car chez Kurosawa, le sombre rayonnement du désordre intime et cérébral finit toujours par se projeter sur l’extérieur, ville fantôme dans Kaïro ou ville apocalypse dans Charisma. Rétribution, brillantissime et à contre courant, continue d’imposer le petit Kurosawa comme un peu plus grand, et plus qu’un grand réal de fantastique, l'un des cinéastes les plus passionnants de notre temps.

*Kiyoshi Kurosawa, Mémoire de la disparition, Diane Arnaud (éditions Rouge profond)

par Nicolas Bardot

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