Retour (Le)
Vosvrascenie
Russie, Fédération de, 2003
De Andreï Zviaguintsev
Scénario : Vladimir Moiseenko, Alexandr Novototski
Avec : Ivan Dobronravov, Vladimir Garine, Konstantin Lavronenko, Natalia Vdovina
Photo : Vladimir Michoukov
Musique : Andreï Dergatchev
Durée : 1h46
Sortie : 26/11/2003
Adolescents turbulents, Ivan et son grand frère Andreï n’ont jamais connu leur père. Après douze ans d’absence, ce dernier frappe à leur porte. Pour restaurer les liens rompus, il leur propose une partie de pêche. Chemin faisant, la voiture bifurque. L’homme taciturne emmène les enfants sur une île déserte. Ivan flaire le danger.
VENDREDI SAINT
Avant le père, il y a l’enfant, le regard accusateur et la mâchoire crispée. Etourdi par le vertige, Ivan grelotte nu sur un plongeoir et attend que sa mère vienne le secourir. L’humiliation avalée, l’enfant rentre à la maison. Un père l’y attend. Est-ce le sien, est-ce un imposteur? Arrachés à leurs jeux inoffensifs, Ivan et Andreï partent en mission, tétanisés. Le Retour ne claironne pas des retrouvailles glorieuses; les épaules massives de l’inconnu sollicitent plutôt le silence et la suspicion. La relation filiale, houleuse, ambiguë, tourmente comme un venin et se faufile comme une intruse entre les deux frères. Du père, on ne connaîtra ni le nom, ni les motivations, à peine un sursaut d’humanité. La mine patibulaire et énigmatique se blottit contre d’autres identités, plus familières. Même s’il prend soin d’en verrouiller les accès, Andreï Zviaguintsev livre ici et là des clés. Quelques inflexions gardent les séquelles du polar. L’expédition d’Ivan, d’Andreï et de leur chaperon laconique érige un long chemin de croix, avec ses élévations douloureuses et ses chutes retentissantes. La course champêtre et la partie de pêche, vite congédiées, ne sont que des maigres leurres. Le voyage ne laisse aucune prise, les bagages s’en tiennent au strict nécessaire. Le ressentiment d’Ivan à l’égard de son géniteur répand un malaise moite et persistant.
CECI EST MON SANG
Deux petits Poucet égarés dans la nature, un pays émietté réduit à un terrain vague. A mesure qu’il dénude les sentiments et froisse les susceptibilités, Zviaguintsev ajuste un tableau fantasmatique, enduit d’une touche de mythologie. Le Retour s’ouvre comme un conte perraultien. Mais c’est une Bible que les deux frères vont exhumer dans la mansarde. En tournant les pages, les doigts se baladent subrepticement sur une gravure d’Abraham prêt à sacrifier son enfant. Les premières et dernières apparitions du père, un corps las enroulé dans un linceul, imitent un gisant du Christ. Le repas de la réconciliation met en exergue une silhouette magnanime offrant du vin à ses enfants, Ivan et Andreï – transposition russe des apôtres Jean et André? –. Indice concomitant: l’un des deux témoins tient un journal intime. Les évidences symboliques ne font que préparer l’épisode crucial de la traversée. Les vis-à-vis embarrassants débouchent sur d’incessants faux départs. La voiture s’embourbe, le trajet s’éternise. Seul un décompte solennel des jours de la semaine gradue l’intensité des épreuves. Le trio s’enferre dans un même rituel. Le père dicte, Andreï se soumet, Ivan résiste. Zviaguintsev évacue peu à peu les derniers parasites (décor, dialogue, intrigue) pour ne conserver qu’une surface plane et malléable: une île-sanctuaire. La famille recomposée joue les Robinson Crusoë. L’histoire peut recommencer.
TORRENTS
Articulé avec vigilance et d’une fascinante souveraineté, Le Retour sonne le glas des aînés. Andreï Zviaguintsev moleste la figure du père et tord les représentations traditionnelles de la masculinité. Entre l’identification aveugle (le "Oui papa" conditionné d’Andreï) et le bras de fer permanent (le réquisitoire d’Ivan), les leçons imposées du père ne trouvent aucun écho – quand elles ne sont pas purement et simplement réfutées -. Tyran, coeur volage, brigand, demi-dieu? Chasse au trésor? Vengeance masquée? Repentir inavoué? Le personnage n’existe que pour la violence du symbole, Zviaguintsev n’en prélève que les contours nébuleux. La besogne insolite du père et les bataillons de questions qu’elle soulève (pourquoi est-il revenu? Qu’espère-t-il trouver sur l’île? A-t-il jamais aimé?) reporte l’attention sur les fils. Derrière les créatures apeurées et la sécheresse apparente du propos, déferle une curieuse histoire d’eau. Les larmes d’Ivan précipitent le déluge, la mer immobile et sereine se transforme en typhon. Andreï boit les paroles de son nouveau mentor, Ivan refuse de se jeter à l’eau. La nature déchaînée arrose inlassablement les têtes brumeuses. L’unique récompense du Retour, après les punitions, les sermons et une traversée du Styx, sera une pellicule photo, des souvenirs en noir et blanc jetés au hasard. Le voyage n’a rien élucidé, il a seulement englouti les frayeurs enfantines. Les deux frères ont grandi; le père lui reste un éternel absent.
En savoir plus
Originaire de Novossibirsk (Sibérie), Andreï Zviaguintsev interrompt ses études secondaires pour suivre des cours de théâtre. Encouragé par ses proches, il s’oriente vers le métier d’acteur. En 1983, il monte à Moscou, est reçu à l’Institut de théâtre GITIS. Le diplôme sous le bras, il décline une offre avantageuse – intégrer une troupe de théâtre d’Etat –, pour lui préférer une voie plus hasardeuse, mais conforme à ses ambitions: monter des pièces expérimentales. Pour subvenir à ses besoins, Zviaguintsev décroche un emploi de concierge, se voit parfois contraint de faire la manche. Poussé à bout, il se tourne vers la publicité, apprivoise la caméra et commence à s’intéresser au cinéma. Ses premiers émois de spectateur: Sonate d’automne de Bergman et L’Avventura d’Antonioni. Dmitri Lesnevski, cofondateur de la chaîne russe Ren-TV, lui confie la réalisation de quelques épisodes d’une série à succès, puis lui commande un premier long métrage, Le Retour. Les deux hommes remanient le scénario, partent en repérages près du lac Ladoga et cherchent pendant un an leurs acteurs. Le budget du film est estimé à 405 000 dollars. Le Retour a reçu le Lion d’or de la 60ème Mostra de Venise cette année.
Vladimir Garine, qui interprète Andreï le frère aîné d’Ivan, est mort noyé un an après la fin du tournage.