Rester vertical
France, 2016
De Alain Guiraudie
Scénario : Alain Guiraudie
Durée : 1h40
Sortie : 24/08/2016
Léo est à la recherche du loup sur un grand causse de Lozère lorsqu’il rencontre une bergère, Marie. Quelques mois plus tard, ils ont un enfant. En proie au baby blues, et sans aucune confiance en Léo qui s’en va et puis revient sans prévenir, elle les abandonne tous les deux. Léo se retrouve alors avec un bébé sur les bras. C’est compliqué mais au fond, il aime bien ça. Et pendant ce temps, il ne travaille pas beaucoup, il sombre peu à peu dans la misère. C’est la déchéance sociale qui le ramène vers les causses de Lozère et vers le loup.
DANSE AVEC LES LOUPS
Très attendu après le triomphe surprise de L'Inconnu du lac (sa vague d'amour critique, son succès en salles et sa pelletée de nominations aux César), Rester vertical, le nouveau film d'Alain Guiraudie, pouvait susciter quelques questions. La première, simple : fera t-il aussi bien ? La seconde, un peu plus redoutée : est-ce que l'inclusion en compétition de son nouveau film signifie que celui-ci est plus lisse, plus "apte" à être avalé par une critique pas toujours ouverte aux propositions marginales dans la course à la Palme d'or ? Qu'on se rassure : Rester vertical est aussi libre que les précédents longs métrages du cinéaste aveyronnais. Et évite la redite en ne craignant pas d'aller ailleurs - malgré les apparences.
Car Rester vertical s'ouvre sur une rencontre incongrue comme on pourrait en trouver dans L'Inconnu ou Le Roi de l'évasion. Du joli patelin, du cul sans filtre pudique, une drôlerie tout en décalage : terrain connu ? Le principal attrait de Rester vertical est justement de ne jamais avoir d'avance sur son personnage principal. On se surprend régulièrement à n'avoir aucune idée d'où le film peut bien aller la séquence d'après - voilà déjà une qualité particulièrement excitante. Dans Rester vertical, le héros, Léo, rencontre une bergère qui, fusil à main, lui parle de sa crainte du loup. Le loup fascine comme il fait peur - une attraction / répulsion qui, dans le cinéma de Guiraudie, ne s'applique pas qu'aux bêtes de la forêt. On retrouve cette tension déjà présente dans L'Inconnu avec son grand méchant loup invisible et tapis dans les bois : le danger chez le cinéaste peut être excitant.
Ce n'est pas le seul paradoxe à l'oeuvre dans Rester vertical, dont la splendeur bucolique est troublée par une inquiétante étrangeté. Celle-ci est plus nette que jamais dans la filmographie du cinéaste... tout en avançant masquée. Le traitement subtilement surréel fait qu'on peut se perdre entre réalité et fantasme, se perdre à l'image d'un héros qui fuit : sur la route, avec une meuf, ou dans son imaginaire. Le propos premier de Rester vertical n'est pas nécessairement social, mais l'angoisse sociale est bien là dans ce long métrage dont le héros semble acculé de toute part, écrasé par des responsabilités qu'il cherche à fuir. Guiraudie est un cinéaste de l'utopie. Quelle utopie lui propose t-on ici, nous propose t-on à nous ? En un geste joyeusement anar, on baise sans se poser de question, on avale de dangereuses substances, on tripe sur du Pink Floyd.
Mais Rester vertical n'est pas non plus le genre de film à fournir un plan et la marche à suivre surlignée en rouge. Guiraudie, joueur, offre des clefs, à nous de savoir les tourner. Le cinéaste parle de son désir de "grandir le réel" dans son film. Cela s'exprime notamment à travers son utilisation des figures du conte avec son preux chevalier, son ogre, ses loups ou son château surplombant la campagne. Voilà une autre perspective sur le cheminement intime du personnage principal, même si le ludisme dans Rester vertical peut s'avérer frustrant - principalement lorsque la narration semble un peu trop en roue libre. Mais en privilégiant la métaphore au littéral, Guiraudie privilégie aussi le vertige, le trouble, tout en livrant une drôle de comédie. Des ingrédients séduisants pour cette nouvelle réussite.