Red Amnesia
Chuang ru zhe
Chine, République populaire de, 2014
De Wang Xiaoshuai
Durée : 1h45
Sortie : 04/05/2016
Deng, retraitée têtue, semble compenser le vide laissé par la mort de son mari par une activité de chaque instant, dévouée à organiser la vie de ses enfants et petits enfants. Sa vie est bouleversée le jour où elle commence à recevoir de mystérieux appels anonymes et à être suivie lors de ses sorties quotidiennes...
VILLES FANTOMES
Kaili Blues, Crosscurrent, Life After Life, Behemoth... à l'heure où le nouveau cinéma chinois révèle toute une nouvelle génération passionnante de cinéastes radicaux, alliant mise en scène monumentale et thématiques ultra-contemporaines, quel regard poser sur la place du cinéaste Wang Xiaoshuai ? Nettement plus accessible et populaire, son cinéma social fait de drames réalistes pourrait en comparaison paraître gentiment désuet. Red Amnesia n'est pourtant pas une carte postale. Le film possède suffisamment de surprises et de personnalité pour ne pas être sacrifié sur l'autel du pittoresque.
A plus d'un titre, on pourrait même faire un parallèle entre le film et son héroïne. L'un comme l'autre souffrent d'avoir l'air inoffensif, mais se révèlent être plus têtus et attachants que prévu. Deng, soixante-dix ans, vit seule chez elle depuis le décès de son mari. Représentative d'une société en voie de disparition, où l'on n'apprenait à personne (et surtout pas aux mères) à profiter de temps pour soi, elle cherche à se rendre utile auprès de tous, suscitant surtout de la gène auprès de ses fils. La première bonne surprise, c'est ce personnage pas si lisse que ça, dont on ne sait trop que penser. Quand Deng explique recevoir d'inquiétants coups de fil anonymes, faut-il la croire? Et quand elle décide de mener l'enquête par elle même, faut-il s'en amuser ou craindre pour elle? Le film ne tranche pas entièrement entre les deux options, et tant mieux.
Red Amnesia charme par un mélange de registres inattendus. Quelques touches d'humour, mais surtout un va et vient permanent entre deux registres dans lesquels on n'attendait pas le cinéaste: le thriller et le film de fantômes. Pas de spectre effrayant ici, mais le retour d'un passé refoulé qui refuse de disparaître. Le cinéma de Wang Xiaoshuai n'est jamais aussi émouvant que lorsque se joue un effet de décalage (souvent un contraste entre les échelles) entre ses personnages et les paysages qui les engloutissent (le port crépusculaire de Chongqing Blues, la forêt anonyme de 11 Flowers...). La résolution de cette enquête aux frontières du surnaturel se fait précisément quand Deng se retrouve dans un paysage inconnu, loin des ruelles de son quartier. C'est d'ailleurs sur ce point que le parallèle entre le film et la nouvelle génération de réalisateurs chinois prend un relief particulier. A la thématique récurrente chez ces jeunes cinéastes de l'éclosion brutale de nouvelles villes, Wang Xiaoshuai oppose en miroir la redécouverte de villes entières oubliées et abandonnées du jour au lendemain. Dans Red Amnesia, les fantômes ne sont plus uniquement des personnes, des souvenirs, ou même l'expression d'une culpabilité passée. Les fantômes sont des villes entières.