Berlinale: Queen of the Desert
États-Unis, 2014
De Werner Herzog
Avec : James Franco, Nicole Kidman, Robert Pattinson
Musique : Klaus Badelt
Durée : 2h28
L'histoire de Gertrude Bell, femme de lettres, analyste politique, espionne et fonctionnaire anglaise, qui a voyagé au Moyen-Orient au début du XXème siècle pour défendre les intérêts britanniques dans cette région du monde...
LA FEMME DES SABLES
Il y a dans Queen of the Desert des motifs Herzog presque trop évidents, avec ce récit d'une aventurière qu'on prend pour une folle et qui se lance dans une exploration de territoires inconnus. Les thèmes sont ceux qu'on retrouve dans certains des films marquants du cinéaste, où Klaus Kinski descend l'Amazone dans l'espoir de retrouver les cités d'or (Aguirre, la colère de dieu) et envoie son bateau gravir une montagne afin de construire un opéra au milieu de la forêt péruvienne (Fitzcarraldo). Mais si l'immensité du désert dans le nouveau film du cinéaste vaut bien l'immensité verte traversée autrefois, son personnage principal n'est pas le même et l'histoire ne se répètera pas. Malgré les apparences, Queen of the Desert n'est pas un encore de ses films d'il y a 30 ou 40 ans.
Gertrude Bell, archéologue, femme de lettre, espionne, n'est ni Aguirre, ni Fitzcarraldo. Alors que ces deux derniers sont persuadés de savoir où ils se rendent, jusqu'à s'enfoncer dans les limbes et la folie, Bell voyage sans boussole et est dit-elle guidée par sa curiosité. Les monstres despotiques laissent place à une héroïne beaucoup plus douce - mais qui n'est en rien une demoiselle en détresse. "Les grands films sont des biographies de leurs acteurs". Cette phrase caractérise bien une large partie de la filmographie de Nicole Kidman (on mettra volontiers de côté la partie la plus commerciale de sa carrière, comme ses 3 films - et 3 échecs - de 2014, Grace de Monaco, Les Voies du destin et Avant d'aller dormir). Kidman, fille de féministe, a la plupart du temps défendu des personnages eux-mêmes féministes, complexes et hors des conventions, de l'héroïne farouche de Portrait de femme à Virginia Woolf dans The Hours en passant par Diane Arbus dans Fur. Bell rejoint ces femmes fortes vomies par les hommes (la première scène, la seule dans laquelle l'actrice n’apparait pas, et où des mâles découpent une carte du monde comme un gâteau en excluant naturellement toute éventualité qu'une femme puisse jouer un rôle). Bell est le sujet de Herzog, pas l'objet - c'est elle qui prend les photographies. Elle est une femme qui, la quarantaine, venant d'une bonne famille au début du 20e siècle, n'est toujours pas mariée. Et c'est dans la solitude que Bell rejoint les héros fous d'Herzog: la jungle traduisait déjà l'inconscient fiévreux des explorateurs, la mer de sable est le reflet intérieur d'une femme seule aux amours brisées.
On l'a dit: Queen of the Desert n'est pas une redite des films réalisés par Herzog dans les années 70 ou 80. Les références sont peut-être à chercher... avant ces dates, du côté d'un cinéma d'aventures comme Hollywood n'en produit plus. Toute la première moitié joue avec talent la carte d'un équilibre entre la romance candide et exotique au premier degré tout en apportant des touches d'humour qui, subtilité importante, ne sont pas de l'ironie second degré qui est un tic du cinéma contemporain. Ce n'est pas réussi jusqu'au bout, et la deuxième moitié du long métrage souffre d'un problème de construction et d'un rythme plus défaillant. Mais il y a une vraie beauté dans ces plans où Kidman est filmée comme dans une peinture d'Alma Tadema, où les bains sont recouverts de pétales de fleur, il y a un certain souffle lorsque la caméra d'Herzog s'élève dans la grandeur désertique, sur Petra ou des lieux fantômes. Et puis il y a la performance de Kidman elle-même. "Vous verrez à quel point elle est bonne", avait prévenu Herzog il y a quelques mois ; l'actrice australienne, omniprésente à l'écran, porte en effet le film à bout de bras.
L'Oursomètre : Déjà récompensée pour The Hours, Nicole Kidman est une candidate logique au prix d'interprétation. La facture classique du long métrage le privera t-il de tout autre prix ?