Promesses de l'ombre (Les)

Promesses de l'ombre (Les)
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Promesses de l'ombre (Les)
Eastern promises
Canada, 2007
Durée : 1h40
Sortie : 07/11/2007
Note FilmDeCulte : *****-
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Bouleversée par la mort d'une jeune fille qu'elle aidait à accoucher, Anna tente de retrouver la famille du nouveau-né en s'aidant du journal intime de la disparue, écrit en russe. En remontant la piste de l'ouvrage qu'elle tente de faire décrypter, la sage-femme rencontre Semyon. Elle ignore que ce paisible propriétaire du luxueux restaurant Trans-Siberian est en fait un redoutable chef de gang et que le document qu'elle possède va lui attirer de sérieux problèmes...

NOIR COMME POLAR

Rétrospectivement, le sous-estimé et peut être trop rigoureux Spider apparaît comme un point de rupture dans la carrière d'un David Cronenberg qui semblait, avec ce film, faire un trop flagrant appel du pied aux journalistes, critiques, et plus encore au juré d'un Festival prestigieux (Cannes ou Venise, de préférence). Rejeté en masse, aussi bien par les cinéphiles que par une bonne partie de ses fans, dont le nombre s'étiolait au fur et à mesure des films et des années, Spider semblait être aux yeux de certains l'oeuvre de trop, celle par laquelle Cronenberg, au lieu de retrouver la formule magique de l’intemporel Faux-semblants (son plus grand succès critique) franchirait la limite le séparant du statut de cinéaste underground culte à celui de metteur en scène prétentieux et surestimé, tendance Angelopoulos. Bousculant le traintrain de son dernier film, remettant en cause l’abstraction de ses derniers films et s’inscrivant dans un genre précis, A History of Violence sonnait comme une véritable profession de foi, celle d’un auteur souhaitant revenir à ses premières amours via un personnage dont le passé mouvementé refait surface. Réitérant son association avec Viggo Mortensen, en lequel il voit son nouveau double après Jeremy Irons (Faux-Semblants, M. Butterfly), James Wood (Videodrome) ou Christopher Walken (Dead Zone), Cronenberg poursuit son exploration de ce genre nouveau pour lui qu’est le polar, bousculant les conventions en l’incrémentant des thèmes de prédilection qu’il approfondit, film après film, depuis bientôt trente ans. La transformation du corps, mais plus encore celle de la famille, et l’impact produit sur elle par l’environnement – ici la ville de Londres, que Cronenberg effleure tout en insistant sur son empreinte indélébile.

TATOO, TON EPAULE EST TATOO

Le film, comme le précédent du cinéaste, fonctionne beaucoup par scènes. Marquantes, visuellement incroyables, comme si Cronenberg, arrivé au summum de son art, ne se prenait dorénavant de passion pour un projet qu’en fonction des quelques scènes qu’il serait susceptible de transcender. Le reste, notamment l’entrée en matière et le personnage de Naomi Watts, ne l’intéresse pas, sauf lorsqu’il s’agit de s’essayer à l’utilisation de la voix off – texte émouvant au passage, celui d’une jeune femme retrouvée morte. L’une de ces scènes, plus encore que l’incroyable et terrassant électrochoc que constitue la scène du hammam, reste l’une des plus belles, des plus sombres, des plus émouvantes de toute l’œuvre du cinéaste. «Ces marques s'inscrivent jusque dans le coeur. Il a altéré son corps aussi sûrement que s'il avait subi une opération de chirurgie plastique», explique Cronenberg. Etonnant que la symbolique du tatouage n’ait jamais été abordée jusqu’à présent (ou en filigranes au détour par exemple d’une scène mémorable de Crash) dans l’œuvre du réalisateur canadien. Au milieu du film, Nikolai Luzhin, interprété magistralement par un Viggo Mortensen habité par son personnage, intègre cette (dead) zone de la maffia russe, exprimant sa foi, faisant état de son passé, via les tatouages qu’il porte sur le corps, comme autant de marques indélébiles, de preuves de son appartenance à une caste, celle des vori v'zakone. «Au départ, ajoute le cinéaste, les vori n'avaient pas le droit de posséder quoi que ce soit, ce qui les distingue de la mafia sicilienne. Le vrai code était : pas de famille (ta mère est une putain), pas de travail, on ne paye pas d'impôts, on ne travaille jamais pour le gouvernement. Ils s'exilaient volontairement de leur propre société. C'est cet exil volontaire qui se transforme en code, en morale, et c'est ce qui leur donne une identité». Troublante, cette scène d’intronisation résume à elle seule le cinéma du réalisateur, la prédominance de l’esprit sur la matière, la négation de la famille biologique, la transformation du corps vers une nouvelle chair… Des thèmes connus, maîtrisé par un Cronenberg qui parvient, une fois de plus, à éviter malgré tout la redite.

LES PROMESSES DE LONDRES

On savait Cronenberg de plus en plus intrigué par le rapport que l’homme peut entretenir avec son environnement. Déjà prégnant dans Le Festin nu (la ville fantasmée de Tanger) et dans M. Butterfly (le folklore lié à la ville de Pékin catalyseur d’une passion destructrice et aveugle), ce rapport explose dans Crash, où le flot de voiture qui s’écoule sous la fenêtre de l’appartement varie en fonction des humeurs d’un couple (et inversement). Dans Les Promesses de l’ombre, Londres, où Cronenberg tourne pour la première fois, est une ville « où tout change, tout subit une mutation». Cette mutation est, selon le patriarche russe, à l’origine de cette de son fils (surjoué volontairement par Cassel), et de celle de la famille qui se voit confrontée à un problème de succession : «Il y a une rivalité entre les deux fils, l'un étant biologique, l'autre "adopté". Et il y a une autre famille, celle d'Anna. Dans les deux familles, il y a de l'amour et de la haine, de l'envie et de la jalousie. C'est assez shakespearien ». Cronenberg évoquant Shakespeare ? Pourquoi pas... Les Promesses de l'ombre s'inscrit en tout cas dans cette recréation de la famille qui parsème l'oeuvre du cinéaste depuis Chromosome 3 et elle se trouve bien au centre de ce nouveau film. Alors on aura beau reprocher à ce nouvel opus de ne pas toujours aller au bout de son potentiel, notamment dans ses premières scènes un rien impersonnelles... Mais Cronenberg poursuit une oeuvre qu'il est parvenu, depuis deux films, à renouveller, à questionner, et Les Promesses de l'ombre signe, tout autant que A History of Violence la marque d'un nouveau départ.

par Anthony Sitruk

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