Private
Italie, 2004
De Saverio Costanzo
Scénario : Camilla Costanzo, Saverio Costanzo, Alessio Cremonini
Avec : Hend Ayoub, Mohammad Bakri, Lior Miller, Arin Omary, Tomer Russo, Niv Sharif
Durée : 1h30
Sortie : 06/04/2005
Réquisitionnée par des soldats de l’armée israélienne, la maison d’une famille palestinienne se voit divisée en trois zones. Le salon devient la chambre de la famille, le rez-de-chaussée zone régulée, que l’on ne peut traverser sans permission, et l’étage, réservé aux soldats, est zone interdite. S’engage alors une impossible cohabitation…
A DOMICILE
Il y a de cela deux ans, à l’occasion de la double sortie en salle des tristes Felicità de Mimmo Calopresti et Souviens-toi de moi de Gabriele Muccino, nous misions, un peu au hasard, sur un hypothétique renouveau du cinéma italien. Resté sans écho (à quelques ponctuelles exceptions près, tels Luna Rossa ou Respiro), ce vœu pieu semblait voué à sa perte. Avril 2005, finalement, on y vient: un pas en avant. Si Private n’est pas forcément le messie annonciateur du souffle nouveau, capable de balayer l’ actuelle atmosphère rance du cinéma latin, sa simple existence constitue déjà un semblant d’espoir. On pourra d’ailleurs trouver ironique que le premier film de fiction de Saverio Costanzo soit obligé de s’expatrier, et même de se passer à l’écran de sa propre langue ainsi que de ses compatriotes, pour enfin dénicher cette salvatrice inspiration. Libre ensuite à chacun d’en tirer les conclusions qui s’imposent. L’histoire même du film, allégorie politique rapprochant maison accaparée et territoire occupé, pourrait d’ailleurs suggérer que Private nous parle autant de la Palestine que de l’Italie. Mais au-delà de ces considérations symboliques, il faut en premier lieu rappeler que ce ne sont pas celles-ci qui font de ce métrage le plus étonnant, le plus efficace et le plus enthousiasmant premier film italien depuis des lustres."
LES INCONNUS DANS LA MAISON
Usager habituel du documentaire, Costanzo évite soigneusement d’emprunter les chemins déjà trop rebattus d’une description quotidienne, clinique, de l’horreur de la guerre. L’écueil de la fable politique démonstrative est, dans la continuité, contourné. Se sachant dès l’origine détenteur d’une histoire forte, Costanzo fait le choix, logique mais précieux, de se concentrer sur sa mise en scène, véritable modèle du genre. Ramenée à la dimension d’une maison, la lutte entre occupants et occupés vire donc à la partie de cache-cache périlleuse, sorte de film de maison hantée ludique et terrible, où l’on se terre dans les placards juste pour voir à quoi ressemble l’ennemi – à soi-même, bien sûr. Film d’occupation spatiale, Private impose sa caméra DV suiveuse, fureteuse, trimbalée à l’épaule, littéralement innervée à l’action, se heurtant aux murs, réduisant son champ à l’aune de sa liberté de circulation (voir cette scène, glaçante, tremblée, de lumière furtive, où la petite dernière reste coincée hors de la chambre où la famille est recluse, donc hors de portée de la caméra). Violence des faits, violence de la prise d’images; Costanzo ose détourner la crudité du réel aux fins de la fiction, ose penser à la manière dont il filme plutôt qu’à ce que chaque plan est censé poser idéologiquement. Coup de poker et coup d’éclat – parfois sans doute un peu trop froid, revers nécessaire de la médaille d’un film renonçant à l’émotion facile. Ce jusqu’à un dernier plan tronqué, véritable lacération à l’âme, qui, enfin, trouve à se libérer. Soufflant.
En savoir plus
Private, Léopard d'or au Festival de Locarno, est inspiré d’une histoire vraie, que Saverio Costanzo a pu observer de l’intérieur plusieurs semaines durant.