Printemps, été, automne, hiver... et printemps
Bom, yeoreum, gaeul, gyeoul, geurigo bom
Corée du Sud, 2003
De Kim Ki-Duk
Scénario : Kim Ki-Duk
Avec : Seo Jae-kyeong, Park Ji-a, Kim Jong-ho, Kim Ki-Duk, Ha Yeo-jin, Oh Yeong-su, Kim Young-min
Durée : 1h43
Sortie : 14/04/2004
La vie et les sentiments changeants d’un moine et de son disciple au fil des 4 saisons.
L’AUBERGE DE LA PASSION
De Kim Ki-duk, on se souvient surtout d’univers violents, de personnages tourmentés, de hameçons trempés dans le sang et de crocodiles affamés. Pourtant, la grande porte de son neuvième film s’ouvre lentement sur un décor paradisiaque, l’espace d’une félicité absolue. Des reliefs de la province coréenne, une nature bourgeonnante, un lac de quiétude, et posé en son centre, un lieu de culte, à peine relié par une fragile barque au monde vrombissant dépeint par le cinéaste dans ses autres œuvres. La caméra de Kim Ki-duk ne s’éloignera jamais de son nouvel Eden, théâtre de sa quête de sérénité. L’hôtel sur l’eau tenu par une mystérieuse sirène dans L’Ile semble bien loin: il est surtout question ici de méditation et d’apprentissage. Chaque saison est un chapitre, et chaque chapitre fournit son enseignement, au rythme d’une fable naïve ou d’un poème dicté par l’école Zen. Dans le parcours cinématographique d’un réalisateur donnant régulièrement dans l’autobiographie romancée (l’enfance dans Adresse inconnue, l’adolescence dans Crocodile ou l’âge adulte dans The Coast Guard), son nouveau film constitue une œuvre expiatoire. Celle qui revient sur les violences passées, sur ces pierres infligées aux dos d’animaux divers et qui s’accumulent comme autant de remords dans un cœur culpabilisé par les souvenirs. Implication on ne peut plus explicite, le cinéaste figure lui-même à l’image et ce pour la première fois, recherchant sa propre part de béatitude.
SO MAYBE WE’RE THE BLISS OF ANOTHER KIND
Le cinéma de Kim Ki-duk est également un travail de métaphore. Malgré sa représentation minutieuse, le Paradis sur Terre est un espace mental autant que physique. Pour preuve, ses portes semblent posées au hasard, privées de mur. On les traverse malgré tout pour suivre le chemin de sagesse, comme on les contourne pour franchir leurs façades invisibles, barrières allégoriques de l’interdit. Le lieu n’est guère plus que symbole, une projection psychique. Le raisonnement et le rachat du péché s’effectuent en gravant sur le sol des maximes que l’on peut aussi bien se répéter à voix basse, inlassablement, tandis que le sang de l’effort qui coule sur les mains figure une indispensable blessure de l’âme. La femme retrouve le même visage double que dans le reste de l’œuvre du cinéaste: objet immaculé de la tentation ou victime de la furie des hommes. La paix ne réside décidément que dans la solitude, celle qui parcourt les montagnes et permet de marcher sur l’eau, ou dans ces parenthèses surréalistes où les chats se transforment en pinceaux. Mais comme les personnages féminins, le surréalisme est à deux faces: on erre parfois douloureusement la tête habillée d’un sac ou le regard masqué par des mots, pour ne plus avoir à supporter la réalité offerte à l’œil humain. Dans l’esprit du moine, il y a ainsi ces ouvertures vers l’extérieur (la tentation charnelle, les heurts de la vie en communauté) et ce jardin intime comme oasis. Pour Kim Ki-duk, qui n’a rien d’un moralisateur, l’un est inhérent à l’autre, les deux pendants de la vie dans sa peinture la plus viscérale. Son nouveau film, splendeur graphique et rhapsodie envoûtante, fait état de cet équilibre entre les aspirations, la clef de l’existence humaine dans toute sa profondeur et son dépouillement.