Pororoca, pas un jour ne passe
Roumanie, 2018
De Constantin Popescu
Durée : 2h32
Sortie : 13/06/2018
Cristina et Tudor Ionescu forment une famille heureuse avec leurs deux enfants, Maria et Ilie. Ils ont la trentaine, vivent dans un bel appartement en ville. Il travaille dans une entreprise de téléphonie, elle est comptable. Un dimanche matin, alors que Tudor se trouve avec les enfants au parc, Maria disparaît.
LES DISPARUS
Lors d'une scène apparemment anodine de Pororoca, pas un jour ne passe, un couple discute de test de compatibilité – comme si le quotidien bien réglé de leur famille pouvait rentrer dans des cases pré-établies. Pororoca (un terme qui vient du dialecte Tupi et qui désigne un grand rugissement ou ce qui détruit tout sur son passage avec grand fracas) va pourtant raconter l'imprévisible destruction de cette famille, avalée par un gouffre lorsque sa fillette disparaît mystérieusement.
Le premier plan du film, une plongée sur un parc, donne le sentiment d'un œil omniscient. Il rappelle aussi Irréversible, installant une menace sur la paisible verdure. Plus tard, un impressionnant plan-séquence de près de 20 minutes donne là aussi le sentiment de tout voir, et de tout savoir. Le père qui surveille ses enfants, les allées et venues, des passants qui au second plan se disputent. Le plan dure et l'on sent que quelque chose se trame. Le réalisateur roumain Constantin Popescu stimule notre capacité à voir et écouter, tout en racontant une invisible et silencieuse disparition. De la même manière, ce drame psychologique aux accents de thriller confronte la froideur des procédures aux vertiges de la raison – ou plutôt de ce qui ne peut pas être raisonné, comme la perte sans explication d'un enfant.
Il faut saluer dans Pororoca une qualité d'écriture exceptionnelle. Le film parvient à avoir des scènes de dialogues tranchantes et plus vraies que nature, sans jamais avoir à surjouer l'hystérie tragique. Et il parvient en même temps à avoir de longues scènes muettes extrêmement bien construites, saisissant ici la tempête sous un crâne. Popescu évite également un écueil géant du cinéma mondial en ne faisant pas de la trajectoire de son protagoniste celle d'un héros viril en quête de rédemption et de dignité – plutôt un être humain aux fissures de plus en plus apparentes.
Ce film-fleuve de 2h30 est ample, ambitieux, et passionnant. C'est également dû à ses interprètes, notamment l'extraordinaire Bogdan Dumitrache qu'on avait pu voir auparavant dans le Cannois Sieranevada ou l'Ours d'or Mère et fils. Si Constantin Popescu n'est pas le plus connu des cinéastes roumains chez nous, son film hors-normes, viscéral, complexe et au dénouement ambigu est une excellente occasion de découvrir son grand talent.