Phone Game
Phone Booth
États-Unis, 2002
De Joel Schumacher
Scénario : Larry Cohen
Avec : Colin Farrell, Katie Holmes, Radha Mitchell, Kiefer Sutherland
Durée : 1h21
Sortie : 27/08/2003
Lorsqu’il passe devant une cabine téléphonique et entend la sonnerie retentir, Stu Shepard décroche le combiné sans se douter qu’il va finir enfermé là, à la merci d’un sniper qui lui interdit de raccrocher.
Malgré un titre français évoquant les fonds de tiroir des sorties vidéo, Phone Game s’avère être un thriller original, qui en cette période de déceptions estivales, démontre l’avantage qu’offre sur la concurrence un scénario bien ficelé. Larry Cohen, l’inventif auteur du pitch (et par ailleurs familier des aficionados de série B des années 70-80), impose une nouvelle fois, plus que le metteur en scène, son empreinte d’auteur sur le film. Le projet, bien avant d’atterrir entre les mains de Joel Schumacher (Tigerland, 8mm), fut déjà développé pour Alfred Hitchcock, avant d’intéresser plus tard Michael Bay. Si Schumacher, cinéaste à la morale douteuse, apparaît comme le moins talentueux des trois, cela n’a finalement que peu d’importance tant l’écriture de Cohen, solide et directrice, suffit à remporter le pari du huis clos iconoclaste. Schumacher se contente d’accompagner en images, et sans génie, la précision d’horloger du véritable créatif du film. Si Cohen maîtrise tellement bien son sujet, c’est parce qu’il est déjà l’auteur de Meurtres sous contrôle (écrit et réalisé de sa main), petit film d’horreur de 76, dans lequel des badauds se transformaient en tueurs de masse sous l’emprise d’une divinité. "Dieu me l’a ordonné", expliquaient-ils aux policiers avant de se suicider. Déjà présents dans le premier film, le personnage du sniper, et la recherche d’une excuse morale et céleste pour perpétrer les crimes. A l’époque en marge du système, Cohen prit même un malin plaisir à mélanger les genres, et à faire de ce dieu ordonnateur un extra-terrestre... Le constat final s’imposait comme suit: les règles religieuses ou morales ne sont qu’excuses pour justifier des crimes immoraux, et ceux qui pensent tuer au nom de Dieu ou d’une éthique quelconque, ne sont que des psychopathes contrôlés par une intelligence ennemie. Vingt cinq ans plus tard, le postulat n’a pas changé.
Si le très bon Colin Farrell figure au centre du film, c’est une nouvelle fois le personnage du sniper qui présente ici le plus vif intérêt. Muni d’un fusil à lunette, il possède le don d’ubiquité sur la scène qu’il a choisie, ainsi que le pouvoir de tuer chacun des "acteurs" de sa petite mise en scène. Dieu omniscient et omnipotent (et matérialisé uniquement par la voix charismatique de Kiefer Sutherland pendant presque tout le film), il s’octroie le droit de juger. A l’instar de John Doe, le tueur en série d’Andrew Kevin Walker (Se7en), il prend la place du bourreau pour punir ceux qui pèchent selon les lois ancestrales du Créateur. Là où son prédécesseur invoquait les sept péchés capitaux, le sniper se réfère lui aux Dix Commandements, et plus précisément, dans le cas de sa "cible", à l’injonction "tu ne convoiteras pas la femme de ton voisin". Enfin, tout comme son proche cousin de Se7en, le personnage de Phone Game est un M. Tout le monde qui a décidé de ne plus céder à l’apathie qui règne dans la société d’aujourd’hui. On remarquera d’ailleurs au passage la volonté de Cohen de s’éloigner des archétypes habituels, tel le vétéran traumatisé par la guerre du Vietnam (citée par le protagoniste lui-même, lorsque Stu se met à chercher le pourquoi du comment). Au travers de ses actes se lit une critique du monde actuel, où le mensonge et la corruption ont rendu les hommes égoïstes. Comme il le dit très justement, c'est "The Stu Show" aujourd'hui, et la victime va payer pour ses péchés. Au travers d’un jeu sacrificiel, d’un reality show, Stu va devoir se mettre à nu, enfermé dans sa prison de verre, exposé aux yeux de tous via les cadres de la cabine téléphonique ou ceux des écrans de télévision (les caméras de la presse ayant rapidement envahi les lieux).
Comme son titre français l’indique, l’idée de jeu est donc inhérente à Phone Game. Loin de s’imposer comme le choix le plus adéquat, Schumacher parvient cependant à se hisser au niveau de ses meilleurs essais, en jouant habilement avec les angles, et en multipliant les split-screens afin d’amplifier la sensation d’exposition du personnage central. Malgré un premier plan effrayant de mauvais goût, le budget du métrage (dix millions de dollars), mais surtout son parti pris scénaristique, empêchent tout effet de style superflu. A l’instar du "dogmatique" Tigerland, l’autre réussite de Schumacher, la caméra à l’épaule et la durée relativement courte du tournage (douze jours) insufflent la tension requise par l’action. Plus important encore, le film ne reprend pas tous les éléments qui ont fait la triste réputation de Schumacher. Malgré une certaine ambiguïté du propos (le tueur moralisateur assassine des gens pour “améliorer” une autre personne, justifiant presque les meurtres, sans endosser la responsabilité de ces "dommages collatéraux"), le film ne va pas aussi loin que Le Droit de tuer? et 8mm. Pas de justification de la violence, pas de glorification ou de légitimation des meurtres. Reste que l’on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qu’aurait pu donner Phone Game entre les mains d’un cinéaste plus ambitieux, plus compétent, et moins adeptes d’effets de caméra tape à l’œil.