Petites Coupures
France, 2003
De Pascal Bonitzer
Scénario : Pascal Bonitzer, Emmanuel Salinger
Avec : Daniel Auteuil, Pascale Bussières, Emmanuelle Devos, Catherine Mouchet, Ludivine Sagnier, Kristin Scott Thomas, Jean Yanne
Photo : William Lubtchansky
Musique : John Scott
Durée : 1h35
Sortie : 12/02/2003
Alors que sa femme vient de découvrir qu’il la trompait, Bruno, journaliste communiste, part à Grenoble avec sa jeune maîtresse rendre visite à son oncle. Excédé par les infidélités de son épouse, ce dernier lui confie une lettre adressée à son rival. Bruno accepte bien malgré lui de servir d’intermédiaire.
L’IRRESOLU
Heurtée, noyée, ressuscitée: la genèse de Petites Coupures a connu les mêmes affres que son personnage indécis, piégé par ses conquêtes successives. Réintroduisant la figure de l’intellectuel rabroué (Fabrice Lucchini dans Rien sur Robert, Jackie Berroyer dans Encore), Pascal Bonitzer accouche d’une chimère tourmentée progressant par à-coups, un vaudeville équivoque fait d’entrelacements et d’excroissances inopinés. Petites Coupures est le récit d’une longue errance, d’un homme arraché à ses certitudes qui oublie chemin faisant le but de ses pérégrinations. Des sinuosités de l’intrigue émerge un étrange fil conducteur: ces fameuses égratignures que Bruno conserve pendant toute la durée du film. Poussé à bout, l’époux cavaleur tente un dernier chantage auprès de la femme délaissée, en menaçant de s’amputer les doigts avec un cutter. La blessure ne se refermera pas avant l’épilogue. L’inconstance de l’amant est redoublée par la désinvolture narrative; Bonitzer prend un malin plaisir à écorcher les genres et faire sauter les coutures d’une histoire trop policée. La confusion qui plane sur le microcosme de Petites Coupures jette un premier sortilège sur le journaliste aventureux.
PETITS ARRANGEMENTS AVEC LES MOTS
Bâti autour de quiproquos amoureux, Petites Coupures dérive lentement vers les terrains mouvants du fantastique. Du bitume parisien aux cimes grenobloises, Bruno se heurte à une communauté verrouillée, insondable et hostile. Mordu, blessé (le véhicule finit à son tour ratatiné), l’intrus se laisse malmener d’un lieu à un autre, jusqu’à perdre tout contrôle sur le cours des événements. Pascal Bonitzer entraîne son protagoniste dans un labyrinthe de saynètes d’intensité inégale, en superposant aux déambulations nocturnes une énigme plus abstraite: celle des mots, savamment ordonnés, signalant la connivence entre les genres. Ancien rédacteur des Cahiers du Cinéma ayant fait ses classes chez Téchiné et Rivette, Bonitzer démontre une nouvelle fois la musicalité toute facétieuse de ses textes. Incisive, absurde, déconcertante - jamais pesante -, la parole comble les fissures d’une mise en scène multipliant les accrocs et les fondus au noir. Gérard, le mari cocu, se résout à une vengeance verbale, en adressant une lettre assassine à un amant, déjà mal en point, qui manque de suffoquer à la lecture de la diatribe. Les insultes fusent, les insinuations pleuvent. Une parole n’est jamais inoffensive.
L'AMOUR EN FUITE
Les affinités intellectuelles, les poses bourgeoises ou le parisianisme condescendant sont autant de leitmotivs comiques qui achèvent de perdre définitivement Bruno. Petites Coupures se complaît dans des amours évanescents, des échappées et des disparitions sans retours explicatifs; une dispersion générale qui est tout à la fois le charme indubitable du film et sa principale faiblesse. Ces petites ratures ironiques imposent une distance maladive entre les personnages et menacent trop souvent la fiction de tourner court. Compte-rendu d’une (quasi) nuit blanche, Petites Coupures s’oublie dans un éternel ressassement. Bonitzer instaure pourtant une circulation pragmatique des objets, reliant entre elles les quatre cibles amoureuses de Bruno. Baladés d’une main à l’autre, une bague, un rouge à lèvre, une lettre ou un revolver infléchissent la tonalité d’une séquence, accélèrent ou suspendent l'action jusqu’au sursaut final. De tout âge et de tout horizon, les seconds rôles féminins dominent très largement la distribution. En séductrice vulnérable et autoritaire, Kristin Scott Thomas excelle dans le sarcasme et l’élégance sophistiqués. Mais la palme du raffinement revient à Daniel Auteuil. Lâche, exaspérant, inconséquent, mais indispensable, l’anti-héros de Petites Coupures trouve en l'acteur l'ambassadeur rêvé.
En savoir plus
Daniel Auteuil
César du meilleur acteur pour Jean de Florette (1986) et La Fille sur le pont (2000), Prix d’interprétation à Cannes pour Le Huitième Jour de Jaco Van Dormael en 1996, Daniel Auteuil continue d’agrémenter une copieuse filmographie, émaillée de succès publics et critiques. Des Sous-doués (Claude Zidi, 1980) à Un Cœur en hiver (Claude Sautet, 1992), de La Reine Margot (Patrice Chéreau, 1993) au Placard (Francis Veber, 2000), l’ancien élève du cours Florent puise son inspiration dans la diversité et affiche un étonnant éclectisme.
Chanteur d’opérette devenu star incontournable du cinéma français, Auteuil voit sa carrière relancée grâce à Jean de Florette (Claude Berri, 1986). La reconnaissance lui ouvre alors le chemin d’André Téchiné (Ma Saison préférée, 1992 et Les Voleurs, 1995), de Benoît Jacquot (Sade, 1999), Régis Wargnier (Une Femme française, 1994) ou encore Patrice Leconte (La Fille sur le pont, 1998 et La Veuve de Saint-Pierre, 1999) et Nicole Garcia (L'Adversaire, 2001) Après la publication d'un premier roman à succès, Il a fait l'idiot à la chapelle, illustré par Sempé, Daniel Auteuil prépare déjà Rencontre avec le dragon d'Hélène Angel et A fleur de peau de Pierre Salvadori.