Peau de cochon
France, 2003
De Philippe Katerine
Avec : Gaëtan Chataigner, Thierry Jousse, Athony Karoui, Philippe Katerine, Helena Noguerra, Dominique Rozan, Edie Sedgwick, Suzanne Sheperd
Durée : 1h24
Sortie : 20/04/2005
En treize tableaux inattendus, le chanteur Philippe Katerine filme son entourage et livre ses obsessions.
HAUT LES MAINS PEAU DE LAPIN
Arte lui avait commandé un court métrage, Philippe Katerine s'est empressé d'en faire un long. Sans esbroufe ni montage, il a d'abord l'idée d'Un kilomètre à pied, un itinéraire en temps réel sur les traces de son enfance. Caméra tremblottante et voix essoufflée, le chanteur énumère les maisons, interroge les ruines et se souvient de ses mauvaises manies, "faire claquer les vieux". L'autoportrait bouclé en un plan-séquence, Katerine a déjà d'autres cochonneries en tête. Peau de cochon naît d'un défi simple, apprivoiser cette satanée caméra dont on a raturé la notice et en faire un compagnon de jeu. Mais un jeu d'enfant qui a tout d'une affaire sérieuse, entre le vrai préparé et le faux improvisé, le quotidien qui déraille et les élucubrations de somnambule. Méticuleusement, Katerine aligne treize petits galets les uns à la suite des autres, sans lien apparent, et son parcours du Petit Poucet n'est pas sans rappeler ses tâtonnements de musicien d'appartement. Les Mariages chinois et L'Education anglaise partageaient ce même goût du dénuement et de la note trébuchante. Katerine invite ses amis (Dominique A, Gaëtan Chataigner, bassiste des Little Rabbits, Thierry Jousse, ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma) ou sa famille (sa fille Edie, sa compagne Helena Noguerra), et les embarque à bord de son zodiaque en carton pâte. Katerine a composé pour Anna Karina et les frères Larrieu (Un homme, un vrai), mais son cinéma à lui échappe à toute classification.
DE BRIC ET DE BROC
Le dispositif est limité, les saynètes sont maladroites; Katerine profite de son inexpérience pour provoquer l'incident et caresser l'imaginaire. Peau de cochon n'a d'autre ambition que de saisir un vécu fantasmé, une pensée en mouvement, régressive, absurde ou tout bêtement poétique. Sans le moindre scénario et armé de son seul désir, Katerine parle de jalousie, de mort, de création, de mémoire-détritus et de réverbères beaux comme des manèges. Les mots familiers du chanteur se posent sur des images égarées. La voix atone, l'oeil amusé, les commentaires cruches et les listes mélancoliques submergent le film de numéros dérisoires et désopilants. Le premier court, Dominique A 1981, en dit long sur la motivation du projet. Katerine demande à Dominique A de lui faire écouter son premier album, enregistré sur cassette à l'âge de douze ans. Drôle et émouvant, l'enregistrement fait dire à Katerine qu'on y décèle déjà le tempérament du chanteur. Dominique A chante par-dessus sa propre voix fluette, en se remémorant les paroles d'hier. A son tour, Katerine reprend mot pour mot le monologue de sa fille, un rêve déclamé comme une tirade (Hélicoptère 1 et 2). Peau de cochon lorgne sur cette gémellité: une enfance d'actrice (Edie), de dessinatrice (Suzanne) ou de compositeur (Dominique) qui vient en découdre avec l'adulte et lui réapprend la légèreté. Gaëtan devient une oeuvre d'art en slip, Thierry commente de la merde, Philippe fait coucou aux voitures et révèle au final le secret de sa fragilité: une greffe de peau de cochon. Peau de cochon, c'est précisément ça, une opération à coeur ouvert qui sauve de l'oubli des états de grâce.