Pas de repos pour les braves
France, 2003
De Alain Guiraudie
Scénario : Alain Guiraudie
Avec : Thomas Blanchard, Vincent Martin, Laurent Soffiati, Thomas Suire
Durée : 1h47
Sortie : 12/11/2003
Basile Matin raconte un rêve étrange à son ami Igor. Dans son sommeil, il a rencontré Faftao-Laoupo, le messager de la mort. S’il dort à nouveau, il cessera de vivre. Circonspect, Igor part à la recherche de Basile, mystérieusement disparu. En chemin, il croise un enquêteur un peu louche, Johnny Got.
LA FRANCE D’A COTE
Remarqué pour ses courts métrages (Du soleil pour les gueux, Ce vieux rêve qui bouge), le cinéaste Alain Guiraudie souhaitait depuis longtemps se frotter à l’exercice du long, mettre en images ses histoires extravagantes sans l’angoisse de la concision. Banco. Pas de repos pour les braves est un hymne à la résistance contre la morosité ambiante, une œuvre pantagruélique, libre et bariolée, un petit bijou d’audace entre western rural et héroïque fantaisie. L’artisan originaire des Landes appartient à une nouvelle famille de réalisateurs français (les frères Larrieu, Philippe Ramos, Frédéric Videau) qui refuse le réalisme social le plus terne pour s’aventurer sur les terrains plus mouvants du film de genre, sans toutefois abandonner son discours politique ou idéologique. Le résultat est une confrontation surprenante entre grands espaces épiques et petits destins individuels, ton résolument léger et mélancolie omniprésente. Ecrit dans les années 70 sous la forme d’un roman de jeunesse jamais publié, Pas de repos pour les braves est une fable à la fois intemporelle, universelle et incroyablement ancrée dans une époque de régression infantile.
UN AUTRE MONDE
Difficile de résumer les enjeux d’une telle œuvre, sans cesse tiraillée entre songe et réalité fantasmée. Plus que l’action, ce sont les personnages qui mènent la danse: Basile/Hector le héros lunaire, Tintin des temps modernes qui échappe à la mort en croquant la vie, Igor le jeune désœuvré Bac+3 qui "se fait chier", et enfin Johnny Got "un aventurier", journaliste free-lance, petit escroc, sorte de Han Solo version Midi-Pyrénéenne avec chemise rose fuchsia, bandana années 80 et bien sûr la Renault Fuego rouge. Que font-ils? Ils boivent des coups à la terrasse des cafés, se cherchent et parfois se croisent entre Onguecongue et Riaux, Buenozères ou Glasgaud. L’absurde affleure et l’on ne sait plus très bien qui est le poursuivant, ni qui est le poursuivi. Basile tente d’échapper à Johnny Got, pendant que ce dernier cherche les petites boules rouges qu’il a dérobé tantôt… La flânerie de Basile imprime un rythme nonchalant. Trou temporel, accélérations, surplace, pauses pastis: Pas de repos pour les braves évite soigneusement la ligne droite pour emprunter des chemins de traverse.
DO YOU KNOW JACQUES TATI?
En bon fils spirituel de Jacques Tati, Alain Guiraudie est un adepte du contre-pied, du plan inattendu et du détail qui tue. Il joue avec les clichés de la ruralité. On reconnaît les images d’Epinal – villages déserts et agriculteurs désenchantés – mais celles-ci apparaissent sous un jour inédit, décalé. A la représentation touristique d’une petite ville de province, se superpose le plan d’une sordide banlieue industrielle, absente des guides Michelin. La France profonde filmée dans Pas de repos pour les braves n’est pas celle grise et morne des journaux de Jean-Pierre Pernaud. Elle est colorée, vive, entraînante, et toujours en accord avec les vêtements et les éléments du décor. Les gendarmes portent des uniformes ornés de fleurs, les gestes de tous les jours se transforment en exploit homérique ou burlesque. Le plaisir pris à la vision du film est aussi provoqué par des dialogues savoureux, toujours déclamés avec une irrésistible distance ironique. Alain Guiraudie aime les mots et un cinéma plein de fougue et d’énergie. Pas de repos pour les braves s’impose comme l’euphorisant de cette fin d’année.