Paradis : Foi
Paradies: Glaube
Autriche, 2012
De Ulrich Seidl
Scénario : Veronika Franz, Ulrich Seidl
Avec : Maria Hofstätter
Photo : Edward Lachman
Durée : 1h53
Sortie : 24/04/2013
Son Paradis, c'est Jésus. Anna Maria, une femme d'une cinquantaine d'années a décidé de consacrer ses vacances d'été à prêcher l'amour du Christ. Accompagnée de la statue de la Vierge, elle sillonne son voisinage. Mais sa vie bascule quand, après des années d'absence, son mari, musulman, revient d'Egypte... Une lutte intérieure s'engage alors pour Anna Maria entre son mariage et la Foi inconditionnelle qu'elle porte à Jésus.
J'IRAI AU PARADIS CAR L'ENFER EST ICI
Anna Maria, héroïne de ce Paradis: foi, fait le pied de grue sur un quai en attendant son train, tandis qu'au-dessus d'elle se déchaine le pire des pires des orages. Ce plan est extraordinaire par sa simple composition, par sa puissance littéralement infernale, mais aussi par la façon dont il s'articule avec la longue séquence qui le précède. Il y a dans Foi, comme dans Amour et Espoir, cette tension horriblement drolatique, mais l'horreur prend cette fois le dessus. Il y a moins d'empathie que dans Paradis: Amour, film complexe dont la ronde héroïne perdue devient émouvante. Il y a plus de dureté que dans Paradis: Espoir car Anna Maria n'a plus l'âge de Mélanie, héroïne du troisième épisode dont la jeunesse est encore pour elle une raison d'espérer. Mais en quoi Anna Maria peut-elle avoir foi ?
Comme les autres héroïnes de la trilogie terrible d'Ulrich Seidl (lire notre entretien), Anna Maria cherche le bonheur aux mauvais endroits. Elle s’en remet au Christ, mais elle est tragiquement seule face à Dieu. Lorsque son mari (égyptien, musulman) resurgit dans sa vie, c’est dans une dimension presque abstraite que le film se glisse, comme si Nabil était un improbable démon surnaturel venu la tourmenter. Nabil réapparait alors que Anna Maria passe son temps à cacher ce qui la dérègle : on enfile une housse sur la télévision, on met un drap sur une peinture qu’on ne veut plus voir. Pas étonnant chez un réalisateur dont le prochain documentaire s’aventure dans les caves des Autrichiens pour voir ce qui s’y cache. Lorsqu’Anna Maria propose au chat qu’elle garde de prendre un peu d’air frais, c’est à travers sa cage. L’héroïne de Foi s’imagine libre, pense que sa voix porte lorsqu’elle rend visite à des mécréants, une Vierge Marie dans les bras. Teresa dans Amour pense jouir d’une liberté toute charnelle, Mélanie dans Espoir miroite une liberté qui l’attendrait au bout de ses vacances. Plus qu’une prison sociétale, les femmes de Paradis sont avant tout prisonnières d’un corps. On prie en faisant la chenille à genoux, on ne peut plus prier parce qu’on ne peut plus se baisser, on torture sa chair avec une ceinture punitive. « Libère-les de leur désir charnel ». Mais ces prières sont chantées faux.
Il y a une scène dantesque dans Paradis : Foi, qui rappelle les visions infernales là encore d’Import/Export. Anna Maria rend visite à une jeune femme venue de l’Est, ivre et à la dérive. S’ensuit un long affrontement qui se transforme en une fascinante baston au ralenti. Le duel est flasque, mais sa violence est terrible. Un calvaire chaos debout. Anna Maria est contrainte à se servir de son corps, comme elle le sera lors d’une ultime castagne. Raide et transie face à Jésus, Anna Maria finit évidemment par choir. Plus violemment encore que Teresa, qui laissera loin derrière elle ses tristes écarts avec des prostitués, plus tristement que Mélanie qui n'en est peut-être qu'au début de ses désillusions. Le long voyage de 6 heures et en trois films aux côtés de ces trois femmes est tour à tour fascinant, épuisant, poignant, drôle, effroyable. Combien de longs métrages peuvent en dire autant ?