Paradis: Amour
Paradies: Liebe
Autriche, 2011
De Ulrich Seidl
Scénario : Veronika Franz, Ulrich Seidl
Durée : 2h00
Sortie : 09/01/2013
Sur les plages du Kenya, on les appelle les "sugar mamas", ces Européennes grâce auxquelles, contre un peu d'amour, les jeunes Africains assurent leur subsistance. Teresa, une Autrichienne quinquagénaire, passe ses vacances dans l'un de ces paradis exotiques. PARADIS : Amour raconte les femmes vieillissantes et les hommes jeunes, l'Europe et l'Afrique, et comment, d'exploité, on devient exploiteur. Ce film d'Ulrich Seidl est le premier volet d'une trilogie dressant le portrait de trois femmes, de trois vacances, de trois récits d'une envie viscérale de bonheur.
L'ENFER C'EST LES AUTRES
Ce nouveau long métrage d'Ulrich Seidl (découvert avec ses documentaires et sélectionné en compétition il y a cinq ans avec le très impressionnant Import Export) semble à première vue un peu moins glaçant que les précédentes oeuvres du réalisateur autrichien. On y retrouve certes ce saisissant art du cadrage, où semblent se débattre des personnages scrutés par le petit bout de la lorgnette, mais le tableau semble cette fois être plus humain. On y sent du moins une empathie certaine pour son personnage féminin ; plus d'humour aussi, comme en témoignent les éclats de rires (!) qui ont ponctué la séance de presse hier soir. Et pourtant qu'on ne s'y trompe pas, Paradis: Amour raconte bel et bien une descente aux enfers. Avec toutes les inévitables bonnes intentions qui vont avec. Passée l’une des séquences d'ouverture les plus percutantes vues ces derniers temps sur grand écran (tous ceux qui sont entrés dans la salle avec l'envie préalable de détester le film ont dû être servis), le long métrage fait mine dans sa première partie de suivre une piste "convenue". Soit donc une femme au foyer autrichienne, mère célibataire lambda et pas spécialement riche, arrivant au "paradis": un club vacances sur une plage kényane, décor idéal pour faire naitre l'envie de plaire à nouveau. Européens/Africains, riches/pauvres, noirs/blancs... on croit pouvoir remplir le cahier des charges à l'avance et on a tort, le scénario a un tour d'avance.
Car les rapports de force s’inversent, se nuancent, s’entremêlent dans un étouffant labyrinthe. L’un des tours de force de Seidl est de faire passer ses personnages du rôle d'opprimé à celui de profiteur, dans un va-et-vient parfois jubilatoire (quand l'exploité tient sa vengeance), mais toujours amer. Ce qui sauve le film de la caricature de froide perversion qui guette, c'est cette idée brillante : ce n’est jamais le sadisme conscient ou inconscient des uns qui y est choquant (réflexes coloniaux, proxénétisme), mais bien le masochisme de tout le monde. Cet exposé de ce que chacun est prêt a accepter pour être aimé, pour être payé ou pour faire plaisir devient de plus en plus glaçant, sans jamais tomber dans le manichéisme. Cette absence totale de jugement peut dérouter ou passer pour une trop grande distance, mais il s’agit au contraire d’une empathie partagée à égalité entre tous les personnages. Pas de bonnes ou de mauvaises attitudes, personne n’a raison ou tort, mais la violence avance, inéluctable. Cette absence de compromis n’est pas avare en nuances, et au-delà d’une indéniable maitrise plastique, Paradis: Amour est un film qui a l’humilité d’avancer sans donner de réponses toute faites. C’est loin d’être la moindre des qualités de ce film-choc.