Old Boy

Old Boy
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Old Boy
Corée du Sud, 2004
De Chan-Wook Park
Scénario : Hwang Jo-Yun, Lim Jun-Hyung, Chan-Wook Park
Avec : Kim Byoung-Ok, Chi Dae-Su, Gang Hye-Jung, Yoo Ji-Tae, Yoon Jin-Seo, Choi Min-Sik, Lee Seung-Shin, Oh Tae-Gyung
Durée : 1h59
Sortie : 29/09/2004
Note FilmDeCulte : *****-

1988. Père de famille sans histoire, Oh Dae-soo est kidnappé devant chez lui. Il apprend de sa cellule que sa femme a été retrouvée morte et que la police le recherche activement. 2003. Il est relâché sans raison précise et croit alors redevenir libre. Mais il reçoit un mystérieux appel téléphonique. Au bout du fil, son bourreau qui l'emmène dans un nouveau jeu sadique. Oh Dae-soo devra découvrir qui l'a enlevé et surtout pourquoi.

AUJOURD'HUI, DEBARRASSONS-NOUS DE NOS SOUCIS

Avec Joint Security Area et surtout Sympathy for Mr Vengeance, Park Chan-wook avait imposé sa griffe, faite de coups de poing picturaux et de noirceur poétique. Old Boy s’inscrit dans cette même veine, et plus directement dans celle de Sympathy, premier volume d’une trilogie sur la vengeance. Mais au-delà des images choc, il y a aussi des lettres. Old Boy, très librement adapté d’un manga japonais, doit autant à Sophocle qu’à Kafka. Au premier, il emprunte les rouages de tragédie grecque, les figures, les enjeux et l’ampleur dramatique. Oh Dae-soo (interprété par un fabuleux Choi Min-sik) prend le relais de Song Kang-ho dans la peau du héros tragique, et bouscule l’ordre sacré pour se confronter à son Dieu haut perché, au sommet de la métropole. Le décor du théâtre hellène et coréen est constitué de transgressions sexuelles, de destins scellés dans un paquet cadeau où le fatum est entouré d’un beau ruban pourpre, ou encore d’une confrontation entre deux hommes qui se détruisent comme il s’opposent, se haïssent comme ils se ressemblent. Au second, Park Chan-wook dérobe les narrations paranoïaques et énigmatiques (un homme se réveille enfermé dans un appartement et y restera pendant quinze ans), ainsi que les symboles, les hallucinations grouillantes et l’humour absurde (insectes qui se répandent sur un corps en transe ou monstre du métro). Tout un imaginaire et un bagage culturel hybride que Park Chan-wook synthétise par sa patte visuelle.

RIS, ET TOUT LE MONDE RIRA AVEC TOI

Cadavres d’enfants brûlés ou tendons tranchés, langue bien pendue et dents perdues, le cinéma du Coréen turbulent ne s’embarrasse guère de dentelles pour distribuer ses images à coups de pelle. Une image dont le pouvoir-vampire coule sur tous les murs de l’appartement exigu dans lequel Oh Dae-soo est enfermé, d’un tableau aux contours changeants à un écran de télévision qui avale ses spectateurs. " La télévision est à la fois votre horloge et votre calendrier. Votre école, votre maison, votre église, votre ami, votre amant". La fenêtre religieuse du cagibi donne sur un accident au pont de l’Alma, sur les victoires de l’équipe coréenne de football, ou sur la destruction des Twin Towers. D’une lucarne servant de robinet à images fascinantes, Park Chan-wook élargit son champ de vision au long-métrage entier, au pur film de cinéma doté d’un sens esthétique aigu où chaque plan semble avoir été sur-fignolé à la façon d’une furieuse chorégraphie. Old Boy enfile alors les figures périlleuses, les situations improbables ou performances kinétiques et cinégéniques. On pense aux acrobaties dans le vide qui ouvrent et ferment le film. Ou à ce marteau dont la trajectoire est littéralement dessinée par une diagonale qui tranche l’écran en deux. Ou encore cette stupéfiante séquence de beat’em up, baston-ballet comme principal morceau de bravoure visuelle du long-métrage. Et Park Chan-wook de rejoindre, en quelque sorte, l’univers purement cinématographique d’un Tarantino, peut-être moins référencé mais partageant une même jouissance du plan.

PLEURE, ET TU SERAS LE SEUL A PLEURER

Toutefois, réduire Park Chan-wook à ses effusions graphiques serait oublier bien vite que l’homme, derrière son goût pour les tortures et autres hurlements de douleur, reste un grand romantique – à l’image, en somme, du camarade Quentin précédemment évoqué. Dans Old Boy, il est surtout question de doux et tristes oiseaux de jeunesse, de désespoir romanesque, de philtres amoureux et de sortilèges magiques. Derrière les cendres chaudes de la rancœur, le feu épileptique de la vengeance, aveuglant, insensé, il reste ce fragile reflet d’espoir, l’apparition et l’abandon cathartique d’un Doppelgänger quasi fantastique. C’est en cela que la noirceur romantique du cinéaste coréen demeure: la belle issue des contes sombres tient pratiquement du surnaturel, suspendue au timide grelot d’une étrange magicienne, deus ex machina sous des habits de sorcière. Les décors de neige, cascade virginale à la blancheur onirique, tranchent par leur silence et leur apaisement après un voyage au bout de l’enfer. La parenthèse s’ouvre sur des consciences endormies de force, où l’on anesthésie les sentiments trop lourds pour continuer à vivre. Alors qu’hier encore Park Chan-wook crucifiait ses personnages jusqu’à la dernière minute aux alentours d’un lac perdu au milieu de nulle part, Old Boy ouvre sa grande route blanche et amère. La ferveur hystérique du manga a fini par rendre aveugle et sourd mais n’étouffe pas un optimisme très ambigu. Et si Old Boy souffre de quelques défauts évidents (problèmes de construction et de rythme), il ne vole pas pour autant son statut de culte immédiat.

par Nicolas Bardot

En savoir plus

Le nouvel opus de Park Chan-wook a secoué la Croisette et divisé la critique. Certains évoquent la folie furieuse d'une dernière demi-heure d'anthologie entre manga et cinéma. D'autres, comme Chronicart hurle à "l'esbrouffe d'un "petit malin" sûr de ses effets. Tous attestent cependant du magnétisme de Choi Min-sik, acteur chouchou de la rédaction, dont la présence au palmarès serait légitime après son oubli en 2002 pour Ivre de femmes et de peinture.

Quelques liens :

Partenaires