Nuit noire, 17 octobre 1961

Nuit noire, 17 octobre 1961
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Nuit noire, 17 octobre 1961
France, 2005
De Alain Tasma
Scénario : François-Olivier Rousseau, Alain Tasma
Avec : Clotilde Courau, Thierry Fortineau, Vahina Giocante, Atmen Kelif, Jean-Michel Portal
Durée : 1h46
Sortie : 01/01/2005
Note FilmDeCulte : *****-

Août 1961, la guerre d’Algérie touche à sa fin. A Paris la tension monte entre la communauté algérienne et la police. En réponse aux agressions et intimidations répétitives, des membres du FLN fomentent des attentats localisés contre des agents de la force de l’ordre. Le FLN organise alors le 17 octobre une manifestation pacifique. Le préfet de police Maurice Papon décide de l’interdire. L’affrontement est inévitable. Des milliers d’Algériens seront arrêtés, brutalisés et, au petit matin, d’innombrables cadavres seront repêchés dans la Seine.

ŒIL POUR ŒIL

Pour son premier long métrage de cinéma Alain Tasma, ancien collaborateur entre autres de François Truffaut et Jean-Luc Godard, s’est vu confier l'une des pages noires de l’histoire de France, la nuit du 17 octobre 1961, qui a vu la mort d’un grand nombre de membres du FLN assassinés par les forces de l’ordre au cours d’une manifestation pacifique. Ce film est par ailleurs prévu pour la télévision, aucun distributeur ne voulant prendre le risque de mettre un thème prometteur en polémique sur le grand écran. Pour le moment, il a seulement été diffusé sur Canal + en 2005 et, du fait de ses évidentes qualités cinématographiques et de son sujet, projeté dans divers festivals. France 3 devrait toutefois le programmer cette année. Pour relater ces évènements, Tasma a choisi de suivre la lente évolution de la situation, commençant son film quelques mois avant cette nuit, et de s’intéresser à différents points de vue: ceuxi d’une journaliste, d’une institutrice, de deux immigrés arabes, de partisans du FLN et des policiers, afin de porter un regard neutre et objectif sans faire de procès. Ainsi, alors que le film commence, la tension est déjà insupportable et l'on ne sait qui a entamé les hostilités. Le spectateur se rend toutefois vite compte que la violence appelle la violence, que l’escalade est graduelle et le pire encore à venir. Alain Tasma pose sa caméra sans prendre parti: il montre que dans les deux camps tout n’est pas noir ou blanc - tous les policiers ne sont pas des salauds et tous les membres du FLN ne voulaient pas forcément une solution pacifique - et comment la frustration et la colère liées à l’impuissance face à cette situation ont pu modifier le comportement de certaines personnes dans un sens ou dans l’autre. Quand la manifestation est annoncée, il est déjà clair qu’elle ne peut que mettre le feu aux poudres, la situation est trop proche du point de rupture et le caractère inéluctable des événements ne fait plus aucun doute.

COMPRENDRE SANS EXCUSER

La seule personne dont la culpabilité ne fait aucun doute est le préfet Papon, avec son adjoint ce sont d’ailleurs les seuls personnages historiques du film. Les autres sont inventés et le film s’affiche comme une fiction relatant des événements passés, et non comme un documentaire. Depuis le début Maurice Papon détient le pouvoir de calmer l’insécurité ambiante mais il ne prend aucune mesure dans ce sens, il donne même l’ordre formel d’utiliser la force pour empêcher la manifestation. Il n’est d’ailleurs jamais fait mention du caractère pacifique de celle-ci dans les bureaux de la police, le spectateur ignore donc si Monsieur Papon était au courant ou non. Lorsqu’il s’agira de rendre des comptes après coup, il fournira des informations incomplètes ou modifiées et refusera de répondre aux questions des journalistes, se réfugiant derrière une prétendue commission d’enquête qui, on l’apprendra à la fin du film, n’aura jamais lieu. Les preuves seront détruites, l’affaire étouffée et les accusations aboutiront à des non-lieux. Aujourd’hui le nombre de morts est estimé entre cinquante et deux-cent mais ce pourrait être beaucoup plus. Le Général de Gaulle, mis au courant des évènements, aurait déclaré "secondaire mais inacceptable"; il était effectivement alors occupé à négocier la trêve de la guerre d’Algérie et il est clair qu’il ne pouvait se permettre de laisser flotter le moindre drapeau du FLN dans la capitale, cela l’aurait mis en position de faiblesse. La violence autant physique que verbale, les humiliations, la volonté de "casser de l’arabe", hommes, femmes ou enfants, donne un vrai sentiment de malaise au spectateur qui suit ce lent cycle infernal avec horreur, d’autant plus que la caméra colle au plus près pour un rendu quasi documentaire. Alain Tasma livre un film brut et sans complaisance qui donne à comprendre comment les choses ont pu en arriver si loin, sans pour autant les excuser. Il ne s’agit pas aujourd’hui de refaire l’histoire mais bien d’accepter les pages plus sombres de celle-ci, qui expliquent peut-être encore aujourd’hui les problèmes récurrents avec la population immigrée.

par Carine Filloux

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