Nouvelle Cuisine
Gaudzi
, 2004
De Fruit Chan
Scénario : Lilian Lee
Avec : Miki Leung, Tony Leung Ka-fai, Bai Ling, Miriam Yeung
Durée : 1h31
Sortie : 01/02/2006
Madame Qing, une ancienne actrice de soap-opéras, est à la recherche de la jeunesse éternelle pour récupérer son mari, Monsieur Li, frappé par le démon de midi. Pour ce faire, elle n’hésitera pas à aller trouver Tante Mei, célèbre pour ses fameux raviolis fourrés aux embryons humains. Une quête de la beauté qui va totalement bouleverser la vie de Madame Qing.
L’AVENIR EST DANS L’OEUF
Le psychodrame saupoudré d’humour noir de Fruit Chan est le premier opus d’une trilogie intitulée Three… Extremes dont les deux autres volets sont réalisés par les réalisateurs japonais et coréen, Takashi Miike et Park Chan-Wook. L’idée de ce film fut soufflée à Fruit Chan par le pouvoir consumériste grandissant des femmes à Hong-Kong. Leur demande ayant évolué au cours du temps, des accessoires de mode aux produits pour se maintenir en forme jusqu’aux opérations de chirurgie esthétique, la prochaine tendance étant celle des produits pour rajeunir. Difficile de résister à la promesse de la jeunesse éternelle quand, comme Madame Qing, l'on a les moyens de se procurer les produits miracles. Dans l’espoir de récupérer son mari, elle n’hésitera donc pas à manger les raviolis de Tante Mei (magnifique Bai Ling). Au bord de la nausée à la première bouchée - sentant les délicats os craquer sous ses dents -, puis avec délectation, ne reculant devant rien pour obtenir des résultats plus rapides. Les embryons faisant d’ailleurs partie du régime matrimonial, Monsieur Li se délectant d’œufs remplis d’embryons de poussins afin de pouvoir maintenir son activité sexuelle. Une obsession qui le mènera également dans l’antre de Tante Mei.
L’EMBRYON EST L’AVENIR DE L’HOMME
Nouvelle Cuisine, dont le postulat de départ est assez absurde, est un bijou d’humour noir et une photo de la société hong-kongaise, des basses classes satisfaisant les rêves de la bourgeoisie d’arrêter le temps pour que le désir de séduction ne s’éteigne pas. La bourgeoisie est représentée par Madame Qing, qui apprendra bien sa leçon comme le prouvera la fin du film. Pour autant absurde que soit cette histoire de raviolis aux embryons censés apporter la jeunesse éternelle, elle est traitée avec tellement de brio que le spectateur ne doute pas un instant que ce ne soit possible. Après une première demi-heure de familiarisation avec les séances de préparation et de dégustation, il est même convaincu que Madame Qing apparaît maintenant sensiblement plus jeune. Ces scènes de cuisine dans l’appartement de Tante Mei sont, avec Christopher Doyle derrière la caméra, et comme tout le film, un vrai plaisir des yeux. La jeune femme manie le hachoir comme la plus experte des bouchères, dans un très rapide montage au rendu très dynamique, et fait voler la farine comme une sorcière quelque magique ingrédient. Un soupçon de surnaturel flotte d’ailleurs sur le personnage de Tante Mei qui, ancienne avorteuse, détient comme un pouvoir sur la vie et la mort, impression renforcée par l’étrange joie qu’elle a à préparer ses spécialités et les sourires et regards qu’elle lance à Madame Qing quand celle-ci se met à table.
LA BEAUTE VIENT DE L’INTERIEUR
Madame Qing qui va non seulement se transformer physiquement mais aussi psychiquement, affichant une assurance contrastant fortement avec sa première apparition. Un sommet d’humour noir étant atteint quand la caméra, située sous un plat dans la cuisine, fait lentement apparaître son contenant, à savoir un fœtus de quatre mois, et Madame Qing et Tante Mei en train de l’observer d’en haut - déesses décidant à quelle sauce il doit être mangé - avant que le hachoir ne fasse, d’un coup sec, son office. La musique délicieusement kitsch rajoutant une note de légèreté à un sujet qui ne l’est point. Du glamour doré de la vie de Madame Qing - dont les tenues très années 50 sont un festival de couleurs et ne peuvent que rappeler les films de Wong Kar Wai - au sordide d’une grossesse avortée car provoquée par le père de la jeune fille, en passant par le personnage de Tante Mei, femme d’affaires sans émotions qui ne semble pas appartenir à ce monde, c’est une société sans âme qui est dépeinte dans ce film. Le cannibalisme de Soleil vert était réalisé à l’insu de la population; dans Nouvelle Cuisine il est maintenant assumé. Et pour vous ce sera?