Marais Film Festival: The Normal Heart
États-Unis, 2014
De Ryan Murphy
Avec : Matt Bomer, Julia Roberts, Mark Ruffalo
Durée : 2h23
Une adaptation de la pièce The Normal Heart, qui décrit la montée en puissance du virus du sida dans les années 80 et le combat d’un écrivain-activiste, Ned Weeks, fondateur d’un groupe d’aide luttant contre la maladie.
ELLE COURT ELLE COURT, LA MALADIE D'AMOUR
Il y a quelque chose d'assez fascinant, comme un exercice d'école de cinéma, à comparer deux œuvres présentées au Marais Film Festival: la mini-série Snö, justement récompensée par le prix du public, et The Normal Heart, lauréat d'un Emmy Award. Le postulat est voisin: il s'agit de deux productions télévisuelles (une série d'un côté, un téléfilm de l'autre) qui racontent une histoire similaire (un groupe d'homosexuels face à l'émergence du sida dans les années 80). Le parti-pris artistique peut être certes tout à fait différent, mais les visionnages proches sont sans pitié pour The Normal Heart. Là où Snö élève son sujet vers le mélodrame, The Normal Heart le rabaisse au statut de soap-opera avec son cast généreux en gym-queens, ses scènes de séduction cheesy, sa scène d'outing filmée comme un gros gag. Pourquoi pas. Mais ce n'est pas la seule façon qu'a le film d'être superficiel.
Dans une interview qui n'a rien à voir avec la choucroute, le réalisateur japonais Koji Fukada nous parlait récemment de ces films remplis de personnages qui passent leur temps à articuler oralement le fond de leur pensée, à dire ce qu'ils ressentent, à expliquer leurs traumas et leur passé. Bref, ces films qui sont incapables d'en faire du cinéma, de construire des personnages autrement qu'avec des notes d'intentions et des gros sabots. On parle beaucoup dans The Normal Heart, généralement dans le mono-registre de la logorrhée hystérique. C'est à ce niveau psychologique que le téléfilm se situe: le héros interprété par Mark Ruffalo est un activiste, il doit donc dans 90% de ses scènes être filmé en train de vociférer pour qu'on comprenne bien qu'il n'en peut plus. On peut avoir une larmichette, on peut aussi se dire que le héros n'est pas le seul à ne plus supporter ce qui se passe à l'écran. La caméra s'agite sans cesse, panote panote et panote à la moindre discussion autour d'une table: surtout, qu'on ne prenne jamais le risque de penser qu'il ne se passe rien. Ce trop-plein étouffe The Normal Heart jusqu'à la parodie: lorsqu'une pauvre vieille dame porte le cadavre mis en poubelle de son fiston, c'est censé être déchirant, c'est au mieux maladroit, et lorsque Julia Roberts pète un câble face aux autorités, on a l'impression de voir le fantôme de Faye Dunaway foutant le souk dans sa salles de bain dans Mommy Dearest. Le héros, trois minutes plus tard, jette lui aussi toutes ses courses contre le mur. Cette escalade du too-much dramatique assomme là où le film devrait bouleverser.
Car The Normal Heart est inspiré d'une pièce américaine, et, comme beaucoup de ces adaptations récentes de pièces américaines, est une longue succession de personnages qui parlent et déclament, s'engueulent quand vient le moment Tony Award du mon monologue (faites le compte, chaque perso principal y a droit) qui n'attend que les applaudissements du public. Mais si certains dans la salle ont pu être authentiquement émus, on a de notre côté été écrabouillés par ce tracteur anti-subtil et sans point de vue qui ne laisse aucun moment de respiration.