Marais Film Festival: Nasty Baby
États-Unis, 2015
De Sebastian Silva
Scénario : Sebastian Silva
Avec : Tunde Adebimpe, Sebastian Silva, Kristen Wiig
Durée : 1h40
Freddy et Mo sont en couple et vivent à New York. Ils tentent d'avoir un bébé par l'intermédiaire de Polly, la meilleure amie de Freddy. Mais tout n'est pas si facile...
L'IMPOSSIBLE MONSIEUR BEBE
Parmi la nouvelle génération des cinéastes chiliens marquants, Sebastian Silva est un paradoxe. Il est à la fois peut-être le plus accessible, avec ses films en apparence facilement étiquetables (le film de bonne qui pète les plombs avec La Nana, le film de vieux grumpy au grand coeur avec Les Vieux chats, ici le film de couple new-yorkais cherchant à avoir un enfant). Mais il est aussi insaisissable car ses longs métrages imprévisibles ne sont jamais d'un seul bloc: ils varient les registres et passent d'un genre à l'autre. Si vous pensez tout savoir au bout de 10 minutes, vous vous trompez ; comme ce galeriste qui, dans la première scène, pense que le héros est fan de Jennifer Aniston parce que sa photo est collée sur son frigo. Non, c'est juste pour se moquer d'elle: "on ne dirait pas une vraie personne, elle ressemble à du pain".
Le récit progressiste de Sebastian Silva semble prendre la suite de la réflexion entamée par Ira Sachs dans Love is Strange. A l'heure où le droit au mariage est accordé aux homosexuels dans de plus en plus d'états américains, Sachs avait le culot de débuter son film par un mariage et de l'évacuer: ce n'est déjà plus le sujet, parlons de ce qui se passe après. A l'heure où, en France, on célèbre aux César une comédie sur un coming out hétéro et où, il y a quelques semaines, sortait une autre comédie où un homo devenait hétéro, Sachs comme Silva ont quelques trains d'avance sur nous. Silva prend pour personnages principaux deux hommes en couple interracial (ce qui, en soit, ferait déjà l'objet d'une comédie chez nous) qui tentent d'avoir un bébé via la participation de leur meilleure amie. Nasty Baby s'ouvre par une scène d'escalade qui préfigure le chemin à parcourir. Comme dans Love is Strange, pas de vision simplifiée mais une certaine hauteur. Il n'y a pas de famille normale, même dans le New York cosmopolite qui semble être le paradis des hipsters de toutes les couleurs et orientations sexuelles. Une femme, un peu perchée et curieuse, peut aborder un personnage dans la rue pour savoir... s'il est juif. Une belle-soeur peut émettre des réserves sur le projet du couple. Et pendant que Freddy et Mo règlent leurs problèmes personnels, Silva filme également le voisinage: le marginal pas méchant mais inquiétant qui traine dans la rue, et ses comparses qui vivent littéralement dans les sous-sols de ces beaux lofts.
C'est pour cela que les récits de Silva ne sont jamais si simples: ils se passent dans le monde, et celui-ci n'a pas qu'une couleur comme dans les téléfilms programmés en prime-time. Le passage d'un registre à l'autre est particulièrement acrobatique et gonflé dans Nasty Baby, et demande peut-être un saut de foi. Mais il permet d'enrichir et mettre en perspective les questions posées par un film très vivant et qui n'est pas qu'une thèse sur l'homoparentalité. Le personnage principal incarné par Silva lui-même est un artiste qui ne veut pas devenir un freak façon Marina Abramović - il est pourtant quelque peu ridiculisé par sa propre installation vidéo. Cet équilibre juste trouvé par le réalisateur, bienveillant mais lucide, fait de Nasty Baby un film riche et déroutant, comme ce générique en rollers qui semble incongru - mais pas tant que ça : la vie reprend son cours...
En savoir plus
Nasty Baby est diffusé ce dimanche 13 novembre à 20h dans le cadre du Marais Film Festival.