Munich

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En 1972, le monde apprenait l’assassinat de onze athlètes israëliens aux Jeux Olympiques de Munich. Ce film raconte la suite.

LE MAÎTRE DU JEU

On aura beau penser l’avoir cerné, après plus de trente ans d’activité, Steven Spielberg parvient encore à nous surprendre. Qui aurait pu imaginer que le débarquement d’Il faut sauver le soldat Ryan ressemblerait à ça? Ou encore l’arrivée du premier tripode dans La Guerre des mondes? Qui aurait pu prévoir la noirceur d’A.I. et l’humour décalé de Minority Report? Qui se serait attendu à autre chose qu’une simple récréation pour Arrête-moi si tu peux? Qu’il s’agisse de son approche esthétique ou thématique, le cinéaste a su apporter de la fraîcheur à des genres que tout le monde lui estimait acquis. Pourtant, le résultat semble toujours être un jeu d’enfant pour le réalisateur. Ainsi, certains spectateurs sont dans un premier temps déçus par ces séquences si bien mises en scène qu’elles apparaissent comme "faciles" pour Spielberg. Son plus grand talent lui serait-il néfaste? Le metteur en scène sait comme personne manier l’art du timing afin d’instiller de la tension dans la plus élémentaire des actions à l’écran. Et il a fait Munich à cette image. En effet, son dernier opus paraît évident, revisitant le film d’espionnage et le polar 70's, et pourtant il ne cesse de surprendre, par son ton, sa violence, son désespoir. Une fois de plus, l’auteur nous offre un chef-d’œuvre paraissant s’éloigner de son style tout en demeurant traversé des thèmes qui lui sont chers.

A HISTORY OF VIOLENCE

Véritable caméléon et cinéaste cinéphile avant tout, Spielberg profite une fois de plus du genre abordé et de l’époque où se situe l’action, les années 70, pour s’y adapter et signer un film dans la veine de ceux de ses confrères du Nouvel Hollywood, notamment William Friedkin ou Francis Ford Coppola. Comment ne pas penser à French Connection et Conversation secrète devant ce film nerveux favorisant caméra portée, zooms et teinte brunâtre à tendance granuleuse? La forme permet également un aspect réaliste. Plusieurs plans pourraient se fondre avec des images d’archives. Néanmoins, comme il l’indique par un plan, très simple, en début de film (qui voit se synchroniser le reportage – images d’archives pour nous, reportage en direct dans le film – et sa reconstitution filmique), Munich est un film de fiction. L’autre talent de Spielberg n’est-il pas de savoir lier un sujet sérieux avec du divertissement? On pourra encore une fois lui reprocher d’insuffler du suspense dans une scène de "mise à mort" (à l’instar de la scène de la douche de La Liste de Schindler), il s’agit ici aussi d’exploiter la situation au mieux afin de représenter le point de vue des protagonistes. A ce niveau-là, le film joue sur les mêmes cordes que La Guerre des mondes, allant de l’effroi, direct, à la tension, sous-jacente, jusqu’à l’horreur pure. La violence du film n’est pas celle d’Il faut sauver le soldat Ryan. Le gore du film de guerre, dont la débauche de tripes était là pour interpeller le spectateur, choquer par le réalisme, cède la place à une vision beaucoup plus clinique. La violence est froide, sèche. On se rapproche plus de David Cronenberg. Spielberg filme les corps nus d’une manière qui tourne presque à l’indécence. Là aussi, le film surprend. Dans sa première demi-heure, Munich présente l'une des rares scènes d’amour de l’auteur, montrant la nudité dans tout ce qu’elle a de plus charnel, avant de la montrer dans tout ce qu’elle a de plus horrible, à l’état de cadavre.

MISSION : IMPOSSIBLE

Au fur et à mesure que le récit défile, Munich présente justement cette transformation. Comment la violence vient peu à peu tout envahir. Et l’autre scène montrant un rapport sexuel, dans la dernière demi-heure du film cette fois, vient appuyer ce propos. Au centre du film, une équipe d’assassins qui n’a jamais tué. Presque aussi amateurs que pourrait l’être n’importe quel spectateur lambda. Et qui apprend à tuer, jusqu’à ce que cela devienne facile, routinier. La violence engendre la violence. D’une maxime simple, Munich fait son propos le plus épuré. "Qui sauve une vie sauve l’humanité toute entière", disait-on dans La Liste de Schindler. Cette devise devenait le motif justifiant la mission de l’escouade d’Il faut sauver le soldat Ryan, envoyée à la mort dans le but de ne sauver qu’un seul homme. Dans Munich, la mission n’est pas de sauver mais de tuer. Et pas qu’un seul homme. Le Mossad répond aux attentats de Munich par d’autres attentats (l’utilisation d’explosifs n’est pas innocente) et le pire n’est pas tant l’acte en soi que la répétition, l’habitude. Tout devient violence. La violence devient quotidien. La violence devient dialogue. "Ils répondent à nos meurtres par des attentats. Nous dialoguons à présent", dit l’un des personnages. Cette construction dialectique sert à symboliser le parallèle entre les deux camps. Si la mort répond à la mort, alors se crée une dangereuse équation. Et ainsi naît le point de vue de Spielberg.

LE MIROIR AUX DEUX VISAGES

Le cinéaste n’a de cesse de mettre en relation Israëliens et Palestiniens comme revers d’une même médaille. Le décompte télévisé des athlètes israëliens assassinés est monté en parallèle avec l’énumération des cibles palestiniennes du Mossad. Onze cibles pour onze victimes. Il n’y a pas de hasard dans cette situation. Tout le long du film, viendront intervenir des flashbacks de l’attentat de Munich. L'arrivée dans l'hôtel des terroristes, la prise d'otages, la couverture média, le fiasco des forces de l'ordre allemandes lors du catastrophique sauvetage raté à l'aéroport. La très grande majorité de ces scènes a lieu de nuit. Une nuit de cauchemar pur. Dès la première incursion nocturne (première scène du film), on sait ce qui va arriver et cette inéluctabilité prend aux tripes. La mort est partout, imminente. Autant de moments que se remémore Avner pour se convaincre du bien-fondé de sa mission. Là encore, il y a une assimilation entre les deux événements, l’attentat et la vengeance. A plusieurs reprises, les deux peuples ne seront pas mis en opposition mais seront comparés, assimilés, et la conclusion d’une telle mise en rapport entre les deux adversaires ne peut être que la suivante: ils sont les mêmes. Les critiques américaines évoquent le terme fumeux "d’équivalence morale". On voudrait accuser le cinéaste, jugé trop souvent politiquement correct, de ne pas se mouiller. Ou pire, de faire l’amalgame des deux camps. Alors qu’il souhaitait laisser le film parler pour lui-même, Spielberg a été contraint de prendre sa défense, au travers de propos qui sont probablement les plus francs et les moins "langue de bois" jamais énoncés par le réalisateur.

FATHERLAND

"Ils auraient préféré que je me taise", affirme-t-il. Qui? Tout le monde. Ou presque. Notamment ceux qui osent dire qu’avec son dernier opus, le metteur en scène n’est "pas un ami d’Israël". En effet, pour quelqu’un qui a été reconnu tel un grand humaniste suite à La Liste de Schindler et à la création de la Shoah Foundation, la mise en chantier d’un film comme Munich était plus que risquée. S’il clame être personnellement convaincu du bienfait de l’existence d’Israël, Spielberg ose sous-entendre dans son film que le territoire ne revient pas forcément aux Juifs. Tout d’abord par les quelques paroles d’un terroriste palestinien (lesquels ne sont jamais diabolisés), dont le discours n’est alors plus de la propagande ou de la revendication, mais celui d’un homme qui paraît justifié. Ensuite, il y a la mère du protagoniste principal qui croit le convaincre en défendant ses valeurs à l’issue du film, mais on n’y croit pas. Au final, tout n’est qu’illusion. C’est tout seul qu’Avner ira lui-même se mettre dans une cage et non un quelconque oppresseur. Avner est un personnage spielbergien par excellence. Fils d’un père absent, trop occupé à devenir un héros pour son pays, Avner est un sabra (natif d’Israël) cependant considéré comme un étranger. Il ne va pas voir son père malade, peut-être parce que ce dernier l’a délaissé (bien qu’il le défende aux yeux de sa mère) mais peut-être le comprend-il enfin, une fois son parcours terminé, lorsqu’il devient à son tour un héros d’Israël (et un père absent). Mais à quel prix? Dans le cas présent, ce n’est peut-être plus tant le père qui abandonne son fils (à l’instar de nombreuses autres figures paternelles dans la filmographie de Spielberg) mais la patrie. Une fois de plus, Israël n’est pas montré sous son plus beau jour.

BLACK SEPTEMBER

Cependant, comme le dit très bien l’auteur, "ce n’est pas parce que l’on aime son pays, qu’il est exempt de critiques". Et le cinéaste de suivre en impliquant non seulement Israël mais également les Etats-Unis. Parce que Munich ne porte pas uniquement sur le conflit israëlo-palestinien. Le "générique" de début l'indique tout de suite. Munich n'est qu'une ville parmi tant d'autres. Autant de villes où des actes affreux ont eu lieu et auront lieu. Ça ne s'arrête pas. L’essai est également une métaphore évidente des événements post-11 septembre, à savoir la traque d'Al Quaeda et la guerre en Irak comme réponses aux attentats du World Trade Center. La Guerre des mondes montrait que personne, pas même la plus grande puissance du monde, n'était à l'abri d'une attaque et évoquait l'impossibilité de l'occupation. Autant de parallèles évidents avec le 11 septembre. Munich, c'est la suite. L’auteur n'a jamais été aussi engagé. Et différent. Comme l'indiquaient apparemment plusieurs critiques, le film est effectivement plus intellectuel qu'émotionnel. Il est vrai, et c'est quelque peu déconcertant venant de la part du cinéaste, que le film s’avère plus bavard que sentimental. On sent que c'est la tête qui parle. Après tout, n’est-ce pas exactement ce qui se passe au sein de l'équipe, hantée par les doutes qui lui viennent à l'esprit? Comment ne pas voir dans le personnage de Matthieu Kassovitz, un fabricant de jouets improvisé faiseur de bombes, le reflet de Steven Spielberg, l’homme-enfant - réputé pour ses films de divertissements - reconverti dans la réalisation de film à la portée autrement plus sérieuse? Un journaliste de Time avouait au cinéaste que jusqu’à présent, il définissait Spielberg en clamant qu’il ne connaissait "personne qui sache mieux être en contact avec l’enfant enfoui en lui" avant de lui concéder qu’il avait réalisé bien des films, à l’instar de Munich, loin de tout aspect enfantin. "Peut-être que l’enfant qui se cache en nous tous meurt juste quand on a le plus besoin de lui", rétorque Spielberg.

THIS IS THE END

Cette réponse est celle d’un homme résigné. Depuis maintenant près de dix ans, on reproche à Spielberg sa manière de finir les films. Aucun cinéaste n’a reçu autant de critiques concernant ses fins que Spielberg. Les dernières minutes tire-larmes de La Liste de Schindler ("La bague, j’aurai pu en sauver deux. La voiture, j’aurai pu en sauver dix."). L’épilogue lourdingue d’Il faut sauver le soldat Ryan ("Est-ce que j’ai été un homme bien?"). Mais surtout, les derniers quarts d’A.I. (le rêve de David, coincé au fond de la mer) et de Minority Report (le fantasme d’Anderton, emprisonné dans sa cellule), prêtant volontiers à des interprétations qui font de tristes sorts des happy ends illusoires. Sans oublier le retour (improbable) du fils dans La Guerre des mondes. Ces dénouements ne prouvent qu’une chose: Spielberg garde espoir. Il lui faut cet espoir. Il faut qu’il puisse croire que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. Munich vient mettre fin à cette vague d’espoir. Après une dernière demi-heure évoquant les difficultés d’Avner à assumer son statut de héros (et donc ses actes), à reprendre une vie normale, au sein de son foyer (le retour à la maison est un thème récurrent de l’auteur), la dernière séquence vient entériner le propos du film sur comment la "vengeance doesn’t fucking work!" (dixit Daniel Craig, l'un des acteurs du film). Une dernière scène, un dernier dialogue, un dernier plan. Et tout est dit. Le film se termine au milieu des années 70 et l’on sait déjà de quoi le futur sera fait. Steven Spielberg a-t-il perdu tout espoir? "Je pense qu’aucun film, qu’aucun livre, ni aucune œuvre d’art ne peut résoudre l’impasse dans le Moyen-Orient actuel", dit-il, lucide concernant son ouvrage. Néanmoins, au travers de sa narration et par le biais d’une scène précise, au cœur du film, Munich invite à la discussion. Laissons les derniers mots à l’humaniste lui-même: "Je reste persuadé que nous verrons la fin du conflit durant le cours de nos vies". Gardons espoir.

par Robert Hospyan

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