Moustache (La)

Moustache (La)
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Moustache (La)
France, 2005
De Emmanuel Carrère
Scénario : Jérôme Beaujour, Emmanuel Carrère
Avec : Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Hippolyte Girardot, Vincent Lindon, Cylia Malki
Durée : 1h26
Sortie : 06/07/2005
Note FilmDeCulte : **----

"Qu’est-ce que tu dirais si je me rasais la moustache?" demande Marc à Agnès. "Je ne sais pas. Je t’aime avec mais je t’ai jamais connu sans." Elle sort un moment faire des courses, le laissant devant le miroir de la salle de bain. Et il le fait. Comme ça: par jeu, pour voir la tête qu’elle fera, pour changer un petit quelque chose dans leur vie heureuse et sans histoire. Elle rentre. Elle ne fait aucune remarque. Le plus drôle, c’est qu’elle a vraiment l’air de ne rien remarquer. Les autres non plus. Amis, collègues de travail le lendemain, personne ne remarque rien…

ALTER EGOS

Le cinéma français est en train de se construire une lignée de films vaguement clones, ainsi qu’en témoigne la sortie cette année de trois longs métrages usant de mécaniques voisines: Lemming, La Moustache et Caché. Quitte à rompre le suspens quant à ce dernier, prévu pour ne sortir qu’en fin d'année, force est de constater que c’est Haneke qui tient le meilleur bout du trio. A cela, plusieurs raisons. Tout d’abord, et c’est sans doute le point d’achoppement majeur, Haneke est tout bonnement meilleur metteur en scène que Carrère et Moll. On sent chez lui chaque plan méticuleusement réfléchi et composé (jusqu'à saturation parfois, c'est d’ailleurs la limite) pour être plastiquement irréprochable, mais aussi pour proposer plusieurs niveaux de lecture. Chez Moll, c'est davantage une recherche de l'effet, une surenchère à la bizarrerie, qui ne se cherche pas forcément un sens, mais s'architecture au gré des influences et des envies esthétiques. Chez Carrère, enfin, l’on perçoit, plus humblement, cette volonté louable de réaliser un film carré, sans fioriture. L'antithèse, en somme du Retour à Kotelnitch, premier film qui en imposait par sa narration explosée et son filmage sur le vif. Ici, au contraire, le cadre est souvent fixe, serré, va à l'essentiel. Quitte hélas à ne pas vraiment prendre d'ampleur. Les rares effets (accompagnement du tambour de la machine à laver, par exemple) hurlent leur présence et viennent finalement gâcher certains autres procédés visuels, certes classiques mais plus subtilement exploités (on songe à l’ouverture du film, inattaquable, figurant avec évidence un passage aqueux dans le fantasmagorique, et restituant l’acte de raser comme on filmerait un crime). Reste cependant à comprendre ce que chacun veut raconter. Plaie d’un cinéma intellectualisant parfois jusqu’à l’excès, nos trois fables sur l’altérité, la peur de l'autre, la perte des proches, partagent une même incapacité à conclure. Dans les trois cas pourtant, l'élément déclencheur, tirant vers le cinéma de genre, laisse lieu d’espérer une échappatoire salutaire par la fiction. Mais cette hypothèse du genre n'est hélas jamais clairement validée. Il y a comme une frilosité à aboutir, à aller jusqu'au bout, et une volonté de recourir davantage au contournement, au symbolisme, pour arriver à ses fins, quitte à laisser s’échapper un récit irrésolu.

LA BARBE

Tout dépend dès lors de ce que chacun sous-entend dans ce fameux élément déclencheur. Il y a l’option dénonciatrice, qui est celle d’Haneke, et permet de passer outre le fantastique sans pour autant perdre le fil. Et il y a l'option fourre-tout, que partagent Moll, et Carrère. Avec Moll, chacun mettra ce qu’il veut de métaphore, dans le symbole du lemming. La plomberie usée d'un couple tout aussi usé, la peur d'autrui, la manifestation du fantastique pur (souvent suggérée, jamais assumée)... Moll ne tranche pas et il arrive un moment où l'appât d'étrange à son tour s'use et se délite. Le phénomène est cousin chez Carrère: dès son livre, ce dernier avoue ne trop savoir ce que cette fameuse pilosité sub-nasale représente. Aussi, de son incipit kafkaïen, il semble que Carrère ne sache que faire, progressant à tâtons et par conséquent s’égarant en chemin. Comme pour compenser, il s’essaie donc à un final sanglant, ne résolvant rien mais suffisamment choquant pour qu’on s’en contente. Des années plus tard, lorsque Carrère adapte son livre, d'une part il tourne en rond, et d'autre part il n’a toujours pas résolu l’énigme de cette moustache. Le traitement naturaliste pour lequel il opte, estimant que jouer la carte du réalisme entraînera l'étrange dans son sillage, ne suffit dès lors plus: si, sur le papier, cette moustache que personne ne remarque, colle au cadre de la fiction écrite, de la logorrhée paranoïaque, la chose n'est plus évidente à l'écran. On est en effet souvent à la limite du ridicule, lorsque, scène d'hystérie ménagère par trop attendue dans ce film de couple à la française, Emmanuelle Devos en vient à crier: "Mais tu sais bien que tu n'as jamais eu de moustache!". L'instant se voudrait dramatique; il colle fortement aux basques du grotesque... La fin quant à elle, renoncement camouflé derrière l’arbre trop pratique de l’inspiration lynchéenne, n’est qu’une pirouette supplémentaire, un serpent se mordant la queue sans ferveur... Père spirituel de tout ce petit monde, Claude Chabrol, et notamment son Enfer, qui avait l'élégance de conclure sur un carton "Sans fin", plutôt que de laisser à croire que tout ce qui avait à être dit se trouvait déjà dans le film. Car à ce petit jeu-là, n'est pas Lynch qui veut.

par Guillaume Massart

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