Mon amie Victoria

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Mon amie Victoria
France, 2014
De Jean-Paul Civeyrac
Scénario : Jean-Paul Civeyrac
Avec : Guslagie Malanda
Durée : 1h34
Sortie : 31/12/2014
Note FilmDeCulte : *****-
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Victoria, fillette noire de milieu modeste, n'a jamais oublié la nuit passée dans une famille bourgeoise, à Paris, chez le petit Thomas. Des années plus tard, elle croise de nouveau celui-ci. De leur brève aventure naît Marie. Mais Victoria attend sept ans avant de révéler l¹existence de l¹enfant à Thomas et à sa famille. Sous le charme de la petite fille, ils lui proposent alors de l'accueillir régulièrement. Peu à peu, Victoria mesure les conséquences de cette générosité.

LA FILLE INVISIBLE

Il serait hélas facile de passer à côté de Mon amie Victoria, au sens propre (sa sortie en catimini le dernier jour de l’année) comme au sens figuré. Car les grandes qualités du nouveau film de Jean-Paul Civeyrac ont avant tout en commun une discrétion et une subtilité qui ne doivent pas rester inaperçues. Classique, Mon amie Victoria ? En apparence, oui. Mais les figures et thèmes familiers du cinéma français (la jeune fille en devenir, le réalisme social, le sentiment amoureux vu sous l’angle du quotidien…) sont ici moins assemblés que détournés. Premier exemple et pas des moindres : combien de films français contemporains comptent pour héroïne une jeune femme noire ? Cette figure quotidienne demeure la grande oubliée du cinéma hexagonal pourtant avide de réalisme. Quelques mois après Bande de filles, c’est à nouveau une petite révolution de voir un long métrage laisser toute la place à un tel personnage, sans réduire son parcours à des histoires de banlieues. De banlieue, il n’est d’ailleurs pas du tout question ici, le récit initial de Doris Lessing étant habilement transféré dans le 17e arrondissement de Paris, qui est particulièrement propice à une surprenante promiscuité de diverses catégories sociales.

Mon amie Victoria s’affaire à des problématiques de classes et de couleur de peau, mais de manière assez surprenante. Les enjeux attendus (les clichés redoutés ?) sont en effet déjoués avec ce qu’il convient d’appeler une très grande élégance. Un tact raffiné qui est d’abord celui de la langue de la romancière britannique, à la fois bienveillante et intransigeante. Concernant la mise en image de ce regard pas si distancié, Civeyrac s’en sort d’ailleurs bien mieux qu’Anne Fontaine dans Perfect Mothers. La dimension sociale de ce récit de prédestination aurait pu être écrasante, mais elle est au contraire toujours mise en retrait par rapport à son aspect purement sentimental. Il y a en effet quelque chose de très romanesque dans cette histoire de transferts amoureux, de presque mélodramatique. Civeyrac l’assume à coups de violons (parfois un peu envahissants) mais surtout en articulant le récit de victoria moins sur les nœuds sociaux (l’opposition noir/blanc, pauvre/riche, femme/homme), que sur un suspens amoureux, d’autant plus mystérieux qu’il semble échapper à toute stratégie de la part de l’héroïne. Face à une belle-famille blanche, où les comédiens sont dans une efficace démonstration (Catherine Mouchet, Pascal Greggory), Guslagie Malanda/Victoria est souriante mais introvertie. Impénétrable.

Victoria aime, n’aime plus, aime un autre. Le film la suit de l’enfance à l’âge adulte, parsemant son parcours de surprenantes ellipses qui font naître une ambiguïté, un mystère : les décisions de Victoria (les légères comme les terribles) sont-elles arbitraires ou obéissent-elles à un ressenti trop longtemps refoulé ? Est-elle victime de sa propre hésitation ou d’un concours de circonstance sociale ? Le film tranche d’autant moins que Victoria est quasi-muette pendant tout le film : invisible aux yeux des autres dès la première scène, elle reste silencieuse sur ses sentiments et sur les raisons qui la poussent à agir. Parfois moins actrice que spectatrice de sa propre vie, elle rappelle par plusieurs aspects les héroïnes émouvantes et insaisissables de Hong Sang-Soo (Haewon et les hommes, Sunhi, etc…). Car Civeyrac n’oublie jamais de faire du cinéma. Si l’idée la plus gonflée du film est sans doute cette voix off omniprésente, la plus grande surprise est que celle-ci ne soit jamais assommante, et apporte même au récit sa dimension la plus poignante. Contrairement à la majorité des voix-off omniscientes qui viennent alourdir inutilement les films du monde entier, cette voix-là (celle de la meilleure amie de l’héroïne) avoue dès le départ sa subjectivité et son ignorance. Même pour cette sœur de cœur, Victoria demeure un mystère. C’est l’amère conclusion du film : derrière la tragédie de Victoria et sa fille, s’en cache une autre. Il est possible de passer une vie à coté de proches sans les comprendre ou pouvoir les aider.

par Gregory Coutaut

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