Mommy
Canada, 2014
De Xavier Dolan
Avec : Anne Dorval
Durée : 2h14
Sortie : 08/10/2014
Une veuve mono-parentale hérite de la garde de son fils, un adolescent TDAH impulsif et violent. Au coeur de leurs emportements et difficultés, ils tentent de joindre les deux bouts, notamment grâce à l’aide inattendue de l’énigmatique voisine d’en face, Kyla. Tous les trois, ils retrouvent une forme d’équilibre et, bientôt, d’espoir.
J’AI VENGÉ MA MERE
Cela fait seulement cinq ans que Xavier Dolan a été révélé par son premier film. Cinq ans, cinq longs métrages et un style qui déjà évolue, s’affine et s’affirme. Cinq ans et déjà une actrice suffisamment fétiche, Anne Dorval, pour que Mommy prenne des airs de retrouvailles (Tom à la ferme était le seul film de Dolan dans lequel elle n’apparaissait pas). Cinq ans et pourtant pointe déjà avec ce dernier film la tentation de parler d’un cycle qui se clôt. Pourtant, malgré la proximité des titres et des thèmes abordés, la corrélation entre J’ai tué ma mère (film de guerre) et Mommy (film de réconciliation) n’est pas fortuite. Le jeune réalisateur le dit lui-même, il a laissé l’autobiographie derrière lui. Cette Mommy n’est plus sa propre mère, et la maman-boulet a laissé place à la mère héroïque. Ma mère était engoncé dans un cadre grisâtre, or dès un des premiers plans (qui sert de photo promo pour le film) la nouvelle Mommy apparait à la fois opaque et auréolée, superbe image prise à travers une vitre sale et jaunie, qui résumerait presque le film à elle toute seule. Ma mère ce héros.
Pas facile cependant d’être mère quand, comme Diane, on est encore soi-même une sorte d’ado attardée, la tête sur les épaules mais l’injure facile à la bouche, et des accessoires de fillettes en guise de bijoux. Pas facile d’avoir pour fils un ado à problème sorti d’un centre psychiatrique, attachant mais ultraviolent, impossible à maitriser tel un diable de Tasmanie. Diane traite son fils de pétasse et lui balance des armoires dans la figure, et il le lui rend au centuple. Pourtant la relation entre eux n’est qu’optimisme, ils s’insultent sans y croire, le sourire aux lèvres. Une maison du bonheur qui malgré ses coups de sangs, ne demande qu’à conquérir avec appétit tous les horizons les plus sombres. Quand débarque la voisine Kyla dans ce schéma, elle s’intègre pourtant avec une facilité aussi stupéfiante que mystérieuse, créant un schéma familial inédit, où tout le monde est à sa place, où personne n’est de substitution. C’est peut-être là le principal tour de force de Dolan : parvenir à faire de trois personnes un personnage unique, une famille heureuse et très équilibrée sans rôle prédéterminé. Une famille qui rend enfin invincible.
Mommy est pourtant loin d’être rose bonbon. C’est un grand huit au romantisme à nouveau exacerbé, où Dolan parvient à nouveau à frôler l’outrance en évitant l’overdose. Les meilleures scènes du film sont d’un optimisme qui abat les murs, d’une flamboyance proche de la grâce. Ceux qui reprochent au réalisateur son manque de modestie croient peut-être qu’il faut impérativement attendre d’avoir l’âge de Scorsese pour filmer des personnages au ralenti sur des musiques populaires ? Dolan n’a pas peur de son propre sentimentalisme, et de traduire cela par une mise en scène riche en effets (filtres, ralentis, chansons riches en souvenirs). Le choix stupéfiant et inattendu de filmer tout cela en format 1.1, soit une image d’un carré parfait, est loin d’être uniquement un gimmick. C’est le format des pochettes de disques (et le film donne énormément de place à la musique populaire), mais surtout le format du portrait. Comment mieux mettre en valeur les comédiens et leurs performances que dans ce cadre qui élimine tout le superflu autour de leurs visages ? Ce carré magique donne également l’impression de regarder par le trou de la serrure, d’être le témoin privilégié d’une histoire d’une intimité et d’une incandescence folle.
Mommy est par moments d’une noirceur incroyable et d’une lucidité amère sur l’amitié perdue ou sur la réalité concrète des maladies mentales. Les personnages ne perdent jamais de leur complexité, ils ont tous l’air d’être des survivants d’un deuil jamais vécu (le surnom de Diane est quand même « Die », soit « meurs » en anglais !). Et malgré cela, l’ensemble déborde d'une euphorie contagieuse. En un plan, en une idée, un changement de tempo ou un gros plan, Dolan est capable de nous bouleverser comme jamais. Porté par des performances exceptionnelles (Anne Dorval – LA Dorval - trouve ici un rôle particulièrement nuancé, à la hauteur de son talent), Mommy est un chef-d’œuvre, rien de moins.