Moi, Tonya
I, Tonya
États-Unis, 2017
De Craig Gillespie
Durée : 2h00
Sortie : 21/02/2018
En 1994, le milieu sportif est bouleversé en apprenant que Nancy Kerrigan, jeune patineuse artistique promise à un brillant avenir, est sauvagement attaquée. Plus choquant encore, la championne Tonya Harding et ses proches sont soupçonnés d'avoir planifié et mis à exécution l'agression…
TONYA LE TIGRE
Si ce genre de termes est parfois galvaudé, il n'y a cette fois rien d'exagéré à dire que l'histoire de Tonya Harding est bigger than fiction, même bigger than life et l'intégralité de ses mésaventures pourrait nourrir dix films ou une série télé entière. La première question posée par le projet de Moi, Tonya était celui du point de vue et on craignait à vrai dire que cette destinée complètement hors normes soit concassée comme tant de productions indé (ou assimilées) pour finalement ressembler à un produit parmi d'autres où toute aspérité est lissée. Le choix de la comédie noire et du mauvais esprit pour traiter d'un personnage comme Tonya Harding et des motifs charriés par son histoire est parfait ; voilà un équilibre qui est proche de celui du patinage lui-même, toujours entre merveilleux et cheesy.
« Elle ne s'intègre pas, elle se distingue », comme on l'entend dans le film. Tonya Harding est un génial personnage de cinéma parce qu'elle est un chien mutant dans un jeu de quilles trop petit pour elle. A l'image chez nous de Surya Bonaly qui ne correspondait pas aux canons rêvés des jurys (à savoir celui de la petite poupée blanche façon petite fille aux allumettes - et rien d'une athlète noire qui enchaîne les backflips), Tonya Harding ne correspondait pas, contrairement à sa concurrente et compatriote Nancy Kerrigan, à l'archétype de la reine du bal de prom. C'est ce qu'explore le film : derrière la destinée extravagante, derrière la discipline sportive, il y a aussi un discours de classe et une violence qui va au-delà de l'accomplissement ou non d'un triple lutz. C'est aussi, dans un même geste, ce qui constitue les éléments comiques et limite camp du récit : cette héroïne qui dézingue des lapins, qui fait de la mécanique et dont la mère clope même sur la glace.
« She's totally American » : la réplique pourrait presque servir de fiche de lecture mais c'est aussi ce dont parle Moi, Tonya. C'est un film sur l'Amérique, qui outre le discours de mépris de classe, parle beaucoup de sa fabrique à mythes quelque part entre le sublime et le grotesque des tenues à sequins - ZZ Top plutôt que Tchaïkovski. On représente fièrement la bannière américaine, on la rêve immaculée alors qu'elle est grimaçante, même tartinée de maquillage. Margot Robbie se donne corps et âme dans ce rôle qui lui vaut une nomination à l'Oscar, tout comme Allison Janney dans celui de son atroce mère qui lui va comme un gant. La mise en scène dynamique, comme si la caméra se préparait elle-même à faire un triple axel, donne au film une énergie fun qui ne faiblit jamais. Et c'est au croisement du mélodrame poignant et de la farce grotesque que Moi, Tonya fait mouche : voilà un spectacle jubilatoire qui ressemble à un fascinant épisode d'Hollywood Babylon sur glace.