Les Mille et une nuits - le désolé

Les Mille et une nuits - le désolé
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Mille et une nuits - le désolé (Les)
Portugal, 2015
De Miguel Gomes
Scénario : Miguel Gomes
Durée : 2h11
Sortie : 29/07/2015
Note FilmDeCulte : ****--
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Où Schéhérazade raconte comment la désolation a envahi les hommes : « Ô Roi bienheureux, on raconte qu'une juge affligée pleurera au lieu de dire sa sentence quand viendra la nuit des trois clairs de lunes. Un assassin en fuite errera plus de quarante jours durant dans les terres intérieures et se télétransportera pour échapper aux gendarmes, rêvant de putes et de perdrix. En se souvenant d'un olivier millénaire, une vache blessée dira ce qu'elle aura à dire et qui est bien triste ! Les habitants d’un immeuble de banlieue sauveront des perroquets et pisseront dans les ascenseurs, entourés de morts et de fantômes, mais aussi d’un chien qui… ». Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait. - « Quelles histoires ! C’est sûr qu’en continuant ainsi, ma fille va finir décapitée ! » – pense le Grand Vizir, père de Schéhérazade, dans son palais de Bagdad. 2ème volume des mille et une nuits

NUIT MAGIQUE

Quelle métaphore utiliser pour parler d’un film qui dure sept heures ? Une autoroute ? Un fleuve ? Peut-être plutôt un grand huit géant, tant, au fil de ses trois parties, Les Mille et une nuits passe d’un extrême à l’autre. Après un premier volume en forme de démarrage, à nos yeux, particulièrement crispant en engourdi, ce deuxième volume décolle enfin, et atteint même des sommets. Le manège mythologique de Gomes commence cependant son deuxième tour avec une nonchalance toujours frustrante. Le premier conte abordé ici par Shéhérazade n’est épique que parce que la voix off nous le dit, et le seul décalage remarquable est celui de la langue, mélangeant la vulgarité du protagoniste à l’élégance de la narratrice. Il faut patiemment attendre le deuxième conte (et donc la… troisième heure du film-fleuve !) pour trouver la pépite, la séquence enchanteresse nichée en plein cœur du film, qui vaut presque à elle seule le déplacement, celle qui vient donner à l’ensemble le piment nécessaire tout en lui offrant un nouveau relief. Soit une longue séquence de procès, presque un moyen métrage à elle toute-seule, à la fois carnavalesque, vertigineux et hilarant. Enfin de l’humour, et pas qu’un peu, dans un film qui jusqu’ici (et sous prétexte de pure liberté) se prenait un peu trop au sérieux

Dès lors, le livre d’histoires se déplie moins en chapitres distincts qu’en pop-up intempestifs, en récits-dans-le-récit tourbillonnant. Avec une grâce étonnante, Gomes parvient à toucher du doigt ce qui n’était alors qu’esquissé en note d’intention : à savoir, combiner le caractère sacré des mythes avec la trivialité sociale de la vie contemporaine. Il y parvient surtout grâce à un sens de l’artifice tout Rivettien, où le masque sert moins à cacher la vérité qu’à la révéler. C’est la société portugaise entière qui se retrouve ici jugée et condamnée par une improbable juge dialoguant avec des créatures bricolées et des animaux et cartons. Les Mille et une nuits - Le Désolé plonge en effet plus ouvertement vers la fiction que le premier tome de la trilogie, voire carrément dans le surnaturel. C’est ce que confirme le troisième conte, consacré à un toutou fantôme de banlieue, et empruntant une partie de sa structure à La Vie mode d’emploi de Perec. Ce qui est surtout confirmé, c’est que c’est lorsque Gomes fait rentrer le plus de fiction possible dans une seule histoire (parfois jusqu’à l’étourdissement), au lieu de la dilater, que son art du récit brille le plus.

par Gregory Coutaut

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