Mauvaise éducation (La)
La Mala educacion
Espagne, 2004
De Pedro Almodovar
Scénario : Pedro Almodovar
Avec : Daniel Cacho, Javier Camara, Gael Garcia Bernal, Fele Martínez
Photo : José Luis Alcaine
Durée : 1h50
Sortie : 12/05/2004
Dans une école religieuse, au début des années soixante, deux jeunes garçons découvrent la vie avec pour témoin le Père Manolo, directeur de l’internat. Des années plus tard, le chemin tortueux des trois personnages se croise à nouveau.
PARLE AVEC LUI
Au commencement, il y a les enfants de chœur, et les voix qui semblent tomber du ciel sur l’autel Almodovar. L’église et toute sa grammaire, et les lumières d’un cinéaste qui traversent ses vitraux pour envahir toute la nef. Le jeu narratif du film dans le film, les hommes - femmes et les travestissements à strass, l’habit sombre de prêtre et ce qui se passe sous les robes. Autour de son précipité sensuel, le formidable Gael Garcia Bernal, Almodovar orchestre une première heure magistrale, distillant le parfum capiteux des corps vierges et pervertis, transformés ou célébrés. Et si La Mauvaise Education semble porter à chaque plan le sceau de son auteur, celui-ci ne se prive pas pour brouiller les pistes et trancher les visages dans son jeu de dupes aux multiples masques. Plus que dans les cabarets homos aux boas étrangleurs et au kitsch un peu éteint, le principe s’étend à tout le film et à son atmosphère schizophrène, cette goutte de sang qui coupe le visage en deux, ces récits lus dans l’histoire dite ou dans le film tourné. Le souvenir reconstruit, celui de la découverte de l’amour, des derniers regards échangés, des séances de cinéma et des vieilles affiches de Sara Montiel. La première moitié du film, dédiée à ce passé retrouvé, à ses soleils aveuglants et aux ombres derrière un buisson ou la porte des toilettes, démontre toute l’aisance, l’élégance et le talent d’un cinéaste qui ne cesse de captiver davantage à chaque long métrage. Mais peu à peu, les cendres d’hier se contredisent et le tableau se dirige vers une nouvelle voie – et avec elle, un nouveau film.
HEY BOY, BE A GIRL
Sur la façade du vieux cinéma, il ne reste guère comme vestiges du passé que des lamelles d’affiches, des morceaux de visages aux pièces manquantes, comme autant de trous de mémoire. Ceux-ci seront maquillés par un travesti, un acteur, un écrivain ou un réalisateur, afin d’offrir au présent toute sa splendeur – ou son inavouable noirceur. A partir de ce véhicule typique du film noir, La Mauvaise Education passe de la chronique d’une mélancolie divine au jeu de doubles identités, où les hommes sont aussi fatals que les femmes. Et à ce roulement de points de vue, une seule quête: celle de cueillir la fleur du secret, rattrapé par les souvenirs qui transpercent la toile, s’échappent des pages blanches pour reprendre vie. Le magnétisme sensuel, la formidable hauteur d’Almodovar glissent alors vers une mécanique plus besogneuse, moins aérienne, moins habitée par ce panache annoncé dès les premiers accords de la partition signée Alberto Iglesias, dans un magnifique générique qui présente déjà les figures classiques et leurs négatifs. L’insoutenable légèreté de la loi du désir, pur ou impur, suspendu à l’occasion d’un plongeon dans une piscine, laisse alors place à cet autre film fait de ficelles qui se prennent quelque peu dans les ailes des anges. Pas assez néanmoins pour salir le beau visage de cette Mauvaise Education, qui suscite assez de désir pour prendre rendez-vous au prochain arrêt d’un des plus grands cinéastes d’Europe.
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La Mauvaise Education est le premier film espagnol présenté en ouverture du Festival de Cannes.