Marguerite
France, 2015
De Xavier Giannoli
Scénario : Xavier Giannoli, Marcia Romano
Avec : Catherine Frot
Durée : 2h07
Sortie : 16/09/2015
Le Paris des années 20. Marguerite Dumont est une femme fortunée passionnée de musique et d’opéra. Depuis des années, elle chante régulièrement devant son cercle d’habitués. Mais Marguerite chante tragiquement faux et personne ne le lui a jamais dit. Son mari et ses proches l’ont toujours entretenu dans ses illusions. Tout se complique le jour où elle se met en tête de se produire devant un vrai public, à l’Opéra...
LA MUSIQUE DE MON CŒUR
L'héroïne de Marguerite, le nouveau long métrage de Xavier Giannoli, s'intègre parfaitement parmi les vertigineux antihéros des précédents films du cinéaste. A l'escroc qui se fait passer pour un chef de chantier construisant une autoroute (A l'origine et son pitch improbable) et à l'inconnu qui ignore pourquoi il est devenu une célébrité (le bide Superstar) succède Marguerite, une aristocrate passionnée d'opéra et à qui personne n'ose dire qu'elle chante terriblement faux. Giannoli s'intéresse à leurs paradoxes, construisant ses films sur cette tension: vont-ils être démasqués ? Contrairement à A l'origine dont le héros dupe tout le monde, Marguerite ne trompe personne: elle a simplement une cour qui n'ose pas la heurter, et une barrière sociale invisible (mais en béton) semble se dresser entre elle et la jeune chanteuse (Christa Theret) conviée dans son salon. Chacun prend la pose sur la photo de groupe et tout le monde joue un rôle - tout le monde, sauf Marguerite.
C'est ici que réside l'une des réussites du film : l'absence de cynisme dans l'écriture de ce personnage tragicomique, d'apprentie tragédienne glorieusement nulle, entourée de courtisans cruels et de proches qui ne lui veulent que du bien. Il aurait été tentant de faire d'elle le dindon de la farce, baudruche grotesque se dégonflant dans les dorures de son petit palais. Mais l'intérêt est finalement ailleurs et ce n'est pas le conte d'une aristocratie arrogante et qui s'achète ce qu'elle veut qu'on nous raconte ici. A cet égard, ce n'est pas faire insulte au cinéaste que de dire que Marguerite est autant, voire plus, un film de Catherine Frot qu'un film de Giannoli.
Marguerite, dans la première séquence, on en parle mais on ne la voit pas. Elle est, géniale ou pathétique, la star attendue par le public. Marguerite est un film de Catherine Frot dans le sens de ces films de stars de l'âge d'or hollywoodien, où les films avec Joan Crawford ou Bette Davis étaient autant des films de leurs réalisateurs que des films "de Crawford" ou "de Davis". Le personnage de Marguerite, lunaire et imperméable au monde, est frotien au possible. Il est ici exposé plus frontalement à la disgrâce et au ridicule, c'est ce qui le rend plus poignant. C'est aussi un film de Catherine Frot car on n'imagine tout simplement plus une autre actrice dans ce rôle. Lorsqu'on la voit incarner cette perdante magnifique, on n'imagine pas autre chose que le premier degré absolu de son jeu, avec une candeur acharnée qui nous fait totalement accepter le postulat surréaliste du film - bien plus que la mise en scène ou l'écriture. C'est elle le moteur, notamment de la comédie à travers le duo formé avec Michel Fau, habitué de la scène qui explose ici dans un rôle d'Armande Altaï au masculin. Lorsque l'on s'éloigne de l'actrice, que le dénouement ne se joue plus sur ce bord de gouffre mais qu'il devient plus explicatif, Marguerite faiblit et le traitement un peu lisse empêche d'embrasser pleinement le basculement. Mais l'héroïne singulière de ce bon film populaire reste en tête, comme la performance de son actrice - probablement sa meilleure.