Maestro
France, 2014
De Léa Fazer
Avec : Michael Lonsdale, Pio Marmaï
Durée : 1h25
Sortie : 23/07/2014
Henri, un jeune acteur qui rêve de jouer dans Fast & Furious, se retrouve engagé dans le film de Cédric Rovère, monstre sacré du cinéma d’auteur. Les conditions du tournage ne sont pas tout à fait celles auxquelles il s’attendait… Mais le charme de sa partenaire et la bienveillance du maître vont faire naître en lui des sentiments jusqu’alors inconnus. Et Rovère, conquis par la jeunesse et la fantaisie d’Henri, vivra ce tournage comme un cadeau inattendu.
ENFANTS GÂTÉS ET PAPY GÂTEUX
En 2006, Eric Rohmer tourne ce qui sera son tout dernier long-métrage, Les Amours d’Astrée et de Céladon avec parmi ses jeunes comédiens, Jocelyn Quirvin. Aujourd’hui, avec Maestro, Lea Fazer illustre un scénario justement écrit par Quirvin, basé sur ses souvenirs de tournage. Le fait que Fazer elle-même n’a pas travaillé avec le réalisateur offre-t-il un début d’explication quant à la difficulté apparente qu’a Maestro à s’attaquer à son sujet ? Pourtant, l’intérêt du film comme témoignage direct sur un cinéaste secret et méconnu aux méthodes originales passe hélas à la trappe dès l’étape du scénario. Contrairement à ce que laisse penser l’affiche du film, Rohmer n’est ici qu’un personnage secondaire (l’intrigue principale étant amoureuse, on y reviendra). C’est ici un vieillard réduit à des gimmicks et des gags navrants liés à son âge (il s’endort sur sa chaise, il ne comprend pas l’argot des jeunes…). Pire : Rohmer passe ici son temps assis dans sa chaise pendant que son équipe fait tout le boulot. De son travail à lui il n’est jamais question. La spécificité de son œuvre n’est même strictement jamais abordée (a-t-elle été comprise?) à tel point que Maestro pourrait tout aussi bien parler de n’importe quel autre cinéaste, ou même d’un artiste imaginaire, tant on dépasse peu le stade du cliché. Voilà pour la première déconvenue, le vrai héros du scénario de Jocelyn Quirvin : c’est lui-même.
Cette absence de point de vue est au mieux une carence maladroite, au pire de la condescendance. De l’œuvre de Rohmer, on finit simplement par admettre qu’elle relève de la « poésie », étiquette fourre-tout sous laquelle le film range également Verlaine et Mallarmé, comme s’il s’agissait d’un seul et unique registre où les nuances n’ont pas d’importance. Il faut le voir pour le croire. Le scénario enfonce tellement de portes ouvertes sur le cinéma dit d’auteur qu’on a du mal à croire qu’il a été écrit par quelqu’un ayant vécu cela de l’intérieur. A l’image de son protagoniste, Maestro est un film qui traduit une méfiance choquante (plus qu’une simple incompréhension) envers la culture classique. Tandis qu’Henri cite le « what else » des pubs Nespresso (un gag déjà présent dans…Camping 2 !), les autres comédiens, à l’aise dans l’univers littéraire du cinéaste, sont immédiatement moqués et dépeints comme des intellectuels passant à côté de la vraie vie. Ils sont coincés (la fille qui ne veut pas coucher), mentalement dérangés (l’acteur qui dit préférer Rohmer à Spielberg), ou même tout simplement pédés. Vous pensez que l’expérience rohmerienne va changer le point de vue du protagoniste, le faire grandir ? Pas du tout. Sournoisement (peut-être inconsciemment), le scénario retourne au contraire la situation à la faveur du héros. A la fin du film, il obtient ce qu’il voulait (coucher avec une actrice) sans avoir besoin d’autre chose que d’acheter un recueil de poésie, il ne se met pas à comprendre ou même à s’intéresser au cinéma de Rohmer. Il ne change pas d’avis sur les autres, ce sont les autres qui s’adaptent finalement à lui : l’assistante couchera avec le meilleur pote relou, et l’héroïne acceptera de se laisser rouler de pelles après avoir dit non, et concédera même que Fast and Furious, c’est finalement aussi bien que du Rohmer.
Si Maestro met aussi mal à l’aise, c’est avant tout par son manque d’élégance. Alors que Rohmer est laissé en arrière-plan dans des gags de pets embarrassants, tout l’arc du protagoniste réside en un seul point : va-t-il parvenir à coucher avec l’actrice principale du film. Voilà tout l’enjeu de Maestro, pour la culture et la leçon de vie, vous repasserez. D’ailleurs, quel personnage scandaleusement sexiste que cette fille qui dit non pour mieux dire oui juste après. Henri/Jocelyn est sûr de son bon droit, et le scénario de vient jamais contredire son attitude conquérante, lui donnant même raison quand il profite de l’ivresse de sa cible pour se glisser en douce dans son lit. Maestro devient donc un film où les filles qui disent non sont en réalité juste « compliquées » (l’excuse numéro 1 des frustrés). Un film qui ne doute pas de son bon droit à outer toute une partie du casting original. Quand Henri/Jocelyn admet penser que l’acteur principal est homo juste parce qu’il est fin et cultivé, on lui répond d’arrêter avec ses clichés. Sauf que dans le plan suivant, on voit justement ledit acteur emballer un mec : des barres de rire ! Le personnage de lesbienne n’est qu’un décalque de celui du héros: elle se comporte comme un mec, et dès la première scène, son seul but est se taper elle aussi l’actrice principale. Une manière hétérocentrée de traiter les homosexualités comme un simple reflet de soi-même ou comme un gag. On n’est pas beauf parce qu’on n’aime pas ou ne comprend pas Rohmer. On n’est pas beauf quand on fait une comédie basée un sujet sérieux. On n’est pas beauf juste parce que l'on filme un protagoniste bourrin. On le devient quand l’incapacité à traiter sérieusement son sujet tourne à la condescendance, et quand chaque personnage secondaire ne sert que de faire-valoir à un héros autobiographique supposément attachant. A des années-lumière de Rohmer, Maestro n’est qu’un film de plus sur des trentenaires immatures et indélicats, des enfants gâtés indignes de l’opportunité qu’ils ont eue, et incapables de mesurer leur chance. Relisez d’ailleurs la dernière phrase du synopsis officiel : ce n’est pas le héros qui vit ce tournage comme un cadeau, c’est Rohmer. On croit rêver.