Madame Fang
Chine, République populaire de, 2017
De Wang Bing
Durée : 1h26
Sortie : 13/06/2018
Fang Xiuying était un paysanne, née en 1948 à Huzhou dans le Fujian, atteinte de la maladie d’Alzheimer pendant les huit dernières années de sa vie. Ses symptômes étaient déjà très avancés en 2015; le traitement qu’elle suivait dans une maison de convalescence n’ayant eu aucun effet, il fut interrompu en 2016 et elle rentra chez elle. Le film retrace son calvaire en 2015, puis au cours des dix derniers jours de sa vie en 2016.
EST-CE AINSI QUE MRS FANG MEURE
Le cinéaste Chinois Wang Bing avait déjà traité (entre autres) de la démence dans son documentaire A la folie, qui se déroulait dans un hôpital psychiatrique accueillant des malades (mais aussi de simples opposants politiques). L'héroïne éponyme de Mrs Fang est, elle, atteinte de la maladie d'Alzheimer. On est habitué aux films-fleuves du cinéaste : A l'ouest des rails bien sûr avec ses 9 heures, Fengming, Chronique d'une femme chinoise et son témoignage en plan fixe de 3 heures tandis qu'A la folie précédemment cité approchait les 4 heures. Mrs Fang, en comparaison, est un poids léger avec ses 86 minutes. Le film pourtant avale le temps en deux plans : l'ouverture où l'on aperçoit Mrs Fang – et une année est engloutie dans le plan suivant avec une Mrs Fang que l'on retrouve agonisante, allongée dans son lit.
Mrs Fang dresse un portrait social mais celui-ci reste en pointillés : on évoque la somme de yuans nécessaire aux soins de Mrs Fang (on y a renoncé depuis longtemps), on reproche à certains membres de la famille leur indifférence. Mais contrairement aux autres films de Wang, tout cela se dessine en creux. Mrs Fang est, avec épure, centré sur sa protagoniste. La caméra filme son masque déjà mortuaire, serrée sur son visage. Les proches ne sont alors qu'un brouhaha à l'extérieur du cadre, avant finalement d'y être invités. On parle de Mrs Fang, de son regard, de sa douleur, de son futur enterrement, mais on parle aussi d'eux qui jactent et jactent et jactent autour de l’aïeule pas encore morte, d'eux qui s'agitent autour d'elle et causent pêche à la tortue.
Il n'y a pas de place ici pour le sentimentalisme. La mort est regardée en face – littéralement lorsque Wang filme Mrs Fang, de façon plus imagée lorsque la mort semble, par certains proches, attendue avec une sorte de détachement résolu. C'est ce mélange qui est saisissant dans Mrs Fang : l'agonie tragique d'une personne ordinaire, le drame et le trivial qui se font face tandis que la caméra s'efface et que les jours s'écoulent. Le décrochage final va dans ce sens : cette honnêteté froide et factuelle contient, paradoxalement, quelque chose de profondément humain et même poétique. Mrs Fang a disparu et la pêche continue. Wang Bing a reçu le Léopard d'or à Locarno avec ce documentaire, sa première récompense d'envergure dans un grand festival – c'est bien la moindre des choses pour l'un des principaux réalisateurs chinois de notre temps.