Ma' Rosa
Rosa et Nestor vivent dans les bidonvilles de Manille avec leurs trois enfants. Ils utilisent leur épicerie comme couverture pour vendre de la méthamphétamine. Une nuit, la police vient les arrêter...
ROSA BONHEUR
Premier plan (bref) du film : des pièces de monnaies qu’une main essaie de grappiller. Deuxième plan : un panneau publicitaire annonçant ironiquement "Aujourd’hui est votre jour de chance". Troisième plan : le grondement de l’orage qui s’apprête à exploser. Bam. En trois plans et quelques secondes seulement, Brillante Mendoza (lire notre entretien) livre les clefs de la tragédie à venir, et plonge le spectateur dans un incroyable maelstrom. Cinéaste de l’urgence et de la survie, Mendoza plonge ici encore plus loin que d’habitude dans un réel bouillonnant. Dans un décor incroyable, un coin de ruelle où les maisons ressemblent à des bourbiers, on crie, chante, bouffe et sniffe dans un même élan, même sous la pluie diluvienne qui menace même de noyer la caméra (un saisissant effet proche de la 3D rappelant la pellicule qui brûlait dans Serbis). Ladite caméra est collée au réel comme un vêtement trempé. C’est le chaos, mais tout l’art de Mendoza est d’y naviguer tête baissée avec virtuosité.
Rosa n’a pas le temps de se poser pour faire tenir sa famille debout, et chaque magouille est bonne quand on doit payer même un verre d’eau. Le crystal meth, consommé par son mari ou revendu sans état d’âme aux toxicos du coin, est rangée dans une vieille boite en carton, au milieu des cahiers d’enfants et des sucettes de son étal. On n’a pas le temps de se poser non plus (on est toujours dans les premières minutes du film) que débarque la police : Rosa est embarquée manu militari. Commence alors la nuit la plus longue : sa famille n’aura que quelques heures pour récupérer de quoi payer sa caution. Mendoza suit ses personnages sans jamais les lâcher : dans les voitures, dans le commissariat (où ça pleut et chante de manière tout aussi folle que dehors), dans leur quête nerveuse pour le moindre billet.
A la différence de ses films précédents, Mendoza n’utilise ici jamais les codes du mélodrame. Ses personnages habituels de mère courage (Lola, Thy Womb...) laissent ici place à une famille indigne, où tout le monde s’insulte. Tous les rapports sont déshumanisés : les flics sont tout aussi corrompus, et l’on se dénonce entre voisins. Mendoza ne filme plus des héros luttant contre l’adversité, il montre un serpent qui se mord la queue : une société où pour survivre, chacun est obligé de jouer des coudes et d’empiéter sur la liberté de l’autre, sur la loi. Cette absence de morale n’empêche pas l’émotion, comme le montre le puissant crescendo final, qui fait serrer les poings sur les accoudoirs. Elle fait surtout de Ma’Rosa un antidote à toutes les émissions de télé moisies en immersion dans la police. Fauché mais radical, mis en scène sans répit et avec une ardeur rare, Ma’Rosa possède à plus d’un moment la puissance immersive du Fils de Saul.