Love is Strange
États-Unis, 2014
De Ira Sachs
Scénario : Ira Sachs, Mauricio Zacharias
Avec : John Lithgow, Alfred Molina, Marisa Tomei
Durée : 1h38
Sortie : 12/11/2014
Après 39 ans de vie commune, George et Ben décident de se marier. Mais, au retour de leur voyage de noces, George se fait subitement licencier. Du jour au lendemain, le couple n'est plus en mesure de rembourser le prêt de son appartement new yorkais. Contraints de vendre et déménager, ils vont devoir compter sur l'aide de leur famille et de leurs amis. Une nouvelle vie les éloignant l'un de l'autre, s'impose alors dans leur quotidien.
UNE FAMILLE C’EST QUOI ?
Par bien des aspects, Love is Strange apparait un peu comme le reflet inversé de Keep the Lights On, le précédent film d'Ira Sachs (lire notre entretien). Un couple gay pour protagonistes et la vie culturelle new-yorkaise pour contexte sont les points communs évidents entre les deux films, mais là où Keep the Lights On (et son titre optimiste) jouait la carte d’un lyrisme âpre et sombre, Love is Strange (et son titre dubitatif) fait au contraire preuve d’une bienveillance apaisée, d’un humour parfois lumineux. Il faut dire que tout commence par un mariage, celui des deux personnages principaux, Ben et George, qui sont déjà en couple depuis longtemps. Placer cette union en ouverture crée d'emblée un décalage intéressant. Ce mariage n'est qu'une confirmation pour ce couple âgé et déjà très solide, et le film le traite effectivement presque comme un non-événement, une simple introduction. Alors que chez nous l'amertume des débats à la con sur le mariage pour tous est encore très fraiche, et alors que le cinéma mondial montre encore très peu de scènes de mariage homo, Ira Sachs en fait un acquis, quelque chose de tout naturel. Une manœuvre toute représentative de ce qui commence un peu partout à être nommé le « new new queer cinema » : les avancées sociales sont reconnues et montrées a l'écran, mais elles ne sont plus au cœur des enjeux de cette nouvelle génération de longs métrages. On n'est pas ici en plein film à sujet, et on peut passer enfin à autre chose, ouf.
Cela tombe bien car Love Is Strange bénéficie de deux personnages particulièrement attachants, deux hommes solides et sensibles qui savent aussi être des petits vieux malins. Des personnages âgés, l’un plus que l’autre, quasiment jamais filmés par le cinéma queer. La qualité du casting et des dialogues rendent leur quotidien incroyablement plus vivant que dans bien des films romantiques, comédies ou non. Le couple crève l'écran dès la scène d'ouverture grâce à une crédibilité rare. Pourtant, le film ne se repose pas sur cette réussite, aussi grande soit-elle. Le deuxième décalage consiste ici à vite séparer géographiquement (et sans tragédie) les tourtereaux fraichement mariés, obligés de jouer les locataires provisoires chez leurs amis. Comment parler d’un couple sans presque jamais montrer les deux amants réunis dans le même plan, dans la même scène? Voilà le mini tour de force de Love is Strange, coming of age story de la maturité qui, en s’attachant à des détails filmés avec grâce (un verre pris dans un bar de quartier, une musique faisant remonter des souvenirs, le récit d’un passé militant…), parvient à retranscrire une intimité douce-amère.
Car Ira Sachs parle surtout ici de liens familiaux et de transmission, de ce qui définit une famille quand on n’a pas d’enfants mais des partenaires et des amis que l’on côtoie depuis plusieurs décennies. La famille, ce n’est définitivement pas un papa + une maman. Ce n’est même pas forcément un enfant biologique, car l’héritage trouve toujours un moyen de se faire malgré l’adversité. Qu’on se le dise. Derrière les touches d’humour, le drame et la réalité réapparaissent à petits pas, jouant à cache-cache jusqu’à un dénouement à la fois optimiste et bouleversant, un élan vers l’avenir d’une intensité que l’on n’avait pas vue venir.