Etrange Festival: Love & Peace
Enfant, le timide Ryoichi rêvait de devenir chanteur punk. Aujourd’hui, il est vendeur anonyme dans une multinationale et n’arrive pas à avouer sa flamme à la belle Yuko. Sa vie bascule lorsqu’il trouve une tortue abandonnée qu’il décide d’adopter.
TORTUE GÉNIALE
Imprévisible Sono Sion: cette formule toute faite pour décrire le cinéaste japonais semble déjà l'enfermer dans une boite trop petite pour lui. Car, à première vue, ce type de craquage nippon auquel Love & Peace pourrait ressembler n'est pas si imprévisible. Son compatriote Takashi Miike est coutumier de ce genre d'extravagances qui, à l'image de Yakuza Apocalypse, ne surprennent qu'à moitié. Et qui, dans le cas de Miike, sont réussies une fois sur dix. Le cas de Sono Sion est différent. Love & Peace fait partie de son gargantuesque défi de réaliser 5 films cette année: Shinjuku Swan (une commande dont il n'a pas écrit le scénario et qui fut au printemps un gros succès au box-office japonais), le jeu de massacre Tag, la SF potache de The Virgin Psychics, le post-apocalyptique minimaliste The Whispering Star et donc Love & Peace, annoncé par le cinéaste comme son film de kaiju. Il y a ici une énergie créatrice et un éclectisme authentiquement imprévisibles, il ne s'agit pas seulement d'un film farfelu de plus.
Imprévisible également car Love & Peace part dans toutes les directions: film de monstres géants et comédie grand-guignol, film pour enfants et film politique. C'est là une différence supplémentaire avec d'autres clowns plus paresseux: Love & Peace est rempli jusqu'à la gueule, change de registre sans prévenir et difficile de savoir où tout cela ira - voilà déjà une promesse excitante de cinéma. Love & Peace raconte l'histoire de Ryoichi, un employé totalement loser qui fait quotidiennement l'objet d'autant de moqueries qu'une mascotte que la Coupe du Monde ou que Nadine Morano. Son amoureuse fantasmée n'est pas une bombasse sortie d'un congélateur pour Tom Cruise, plutôt une sorte de freak cachée derrière ses cheveux et dont le trésor est une plaquette d'Ercéfuryl. Cinéaste punk, on imagine mal Sono Sion du côté des héros traditionnels et de l'establishment. Et lorsque, de manière totalement improbable, Ryoichi devient un héros, c'est sous les traits plutôt queer d'une caricature de star de j-rock.
Lors d'une scène où Ryoichi se questionne sur son avenir, son destin semble se jouer... sur un plateau du jeu de société Destin. Il y a 60 ans, Godzilla symbolisait les traumatismes de l'après-guerre. Dans Love & Peace, le kaiju eiga s'attaque plutôt à la société de consommation dans un Japon promis à la prospérité retrouvée simplement parce qu'il va accueillir les JO. Les tubes les plus génialement idiots sont composés par une tortue mutante, et la voie toute tracée vers la réussite, que Ryoichi reconstitue sur une table avec des boites siglées de 36 marques, sera bientôt le lieu du chaos. Love & Peace est, comme on l'a dit, un film pour enfants - en apparence. Babe 2, le cochon dans la ville est le film préféré du cinéaste, déjà un vrai-faux film pour enfants, mignon et très noir, et qui fut d'ailleurs un bide à sa sortie. Love & Peace n'est pas noir, il est au contraire très coloré. Mais son royaume souterrain de poupées cassées renvoie aux poupées de Stuart Gordon dans Dolls, son échappée dans les rues menaçantes de la ville évoque celles de Babe 2. Love & Peace est largement moins sombre : son monstre détruit tout mais, comme on l'entend, ne fait mal à personne. Il y a une habileté réjouissante chez Sono Sion à cacher un film dans l'autre (et générer des moments ahurissants) - quel que soit le genre, sa liberté reste intacte.