Lost in la Mancha
États-Unis, 2002
De Keith Fulton, Louis Pepe
Scénario : Keith Fulton, Louis Pepe
Avec : Jeff Bridges, Johnny Depp, Terry Gilliam, Jean Rochefort
Durée : 1h29
Sortie : 16/07/2003
Ce qui ne devait être qu’un simple making-of d’un film de Terry Gilliam sur sa propre vision de Don Quichotte s’est transformé en sombre témoignage d’un naufrage complet. Dès le début de la pré-production, Gilliam se plaint du budget insuffisant et du manque d’organisation général. La production connaîtra des écueils pires encore lorsque le tournage commencera au moment où les éléments et la santé de son acteur principal se liguent contre lui.
Les parallèles sont nombreux et les mauvais augures s’accumulent. Orson Welles a connu les pires difficultés lors de la production de son Don Quichotte, qu’il ne finira jamais (et que Jesus Franco terminera en 1992, livrant une version totalement différente de celle du Maître), créant du même coup une légende sur l’impossibilité de mener à bien un tel projet. Gilliam n’a de cesse de se remémorer le tournage des Aventures du Baron de Munchausen, où les difficultés n’avaient cessé de s’accumuler. Et enfin, le réalisateur lui-même finit par être un Don Quichotte involontaire, à la fois grotesque et magnifique dans sa volonté de vouloir poursuivre à tout prix un projet qu’il a mûri et porté pendant plus de dix années. Toute la folie, l’excentricité et l’imaginaire propres au personnage de Cervantès trouvent des échos troublants dans la propre personnalité du réalisateur; les géants contre lesquels se bat Terry Gilliam sont manifestement trop grands et trop puissants pour lui. S’agitant vainement, il n’a d’autre choix que d’abandonner la partie, mais jure de terminer un jour ce qu’il a commencé. Orson Welles avait eu le même rêve et même la mort de son propre Don Quichotte ne l’avait décidé à abandonner. Seule sa propre mort sut lui faire entendre raison.
Formellement, le film alterne interviews et images du tournage, le tout ponctué par les rares images tournées par Terry Gilliam, faisant par-là même la lumière sur ce que le film aurait pu être: une magnifique œuvre de Gilliam, parfaitement en adéquation avec son propre univers, ses propres démons et sa propre folie. La caméra des documentaristes reste discrète et capte sur le vif les tensions nées des difficultés à surmonter, comme en témoigne cette scène où Terry Gilliam et ses producteurs français discutent de l’éventualité de remplacer l’assistant réalisateur qui pourtant abat une somme de travail titanesque. De plus, les auteurs de ce documentaire cherchent à rendre hommage à l’ex-Monthy Python, en glissant ça et là des références à l’une de ses originalités: les séquences animées à partir de photos découpées immortalisée notamment dans Sacré Graal. Seulement, si le film prête souvent à rire et à sourire, particulièrement grâce à Terry Gilliam qui ne perd pas son humour pour ne pas craquer, il ne faut pas non plus oublier qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un désastre humain, financier et artistique. 32 millions de dollars gaspillés et un homme qui s’est réveillé brutalement à cause des forces de la nature et de la fatalité d’un rêve qu’il entretenait depuis dix ans. Il faut voir Gilliam se décomposer à mesure que la fin devient inévitable. Il s’efface et se tait, il ne peut que rendre compte de l’ampleur des dégâts. Il cesse de se battre mais garde la foi: un jour, il finira son film.