The Lords of Salem
États-Unis, 2012
De Rob Zombie
Scénario : Rob Zombie
Avec : Bruce Davison, Ken Foree, Sheri Moon, Dee Wallace
Photo : Brandon Trost
Durée : 1h41
Alors qu'elle passe un vinyle à l'antenne de la radio pour laquelle elle travaille, Heidi réveille un groupe de sorcières tuées au XVIIème siècle à Salem et ayant juré de revenir se venger...
ENTER THE VAULT
Vendu pendant des mois comme la série B ultime, avec posters promotionnels affichant des trognes d’acteurs bien connues des amateurs de cinéma bis et 80’s comme Michael Berryman ou Dee Wallace à l'appui, on peut dire que le dernier effort de Rob Zombie aura plus que dérouté son monde, et en particulier ceux qui s’attendait à un tour de train fantôme bien calibré et sans surprise. Pauvres fans de fantastiques, que la mention sur l’affiche : " par les producteurs de Paranormal activity et Insidious " avait fini de rassurer sur la teneur hautement jouissive (et inoffensive…) du projet. Malheureusement pour eux, il n’en est rien et à la vision du film, il ne reste de leur Lords of Salem fantasmé que son pitch hautement rock’n’roll à base de disque démoniaque ouvrant une porte de l’enfer. Jugé hermétique, ennuyeux, vain et raté par la majorité des fans de Zombie et du genre, Lords of Salem est une œuvre difficile que certains auront sans doute trop vite reléguée au simple exercice « grand guignolesque ». Le film s’élève au delà des attentes basiques et forcement déçues des aficionados du bonhomme, qui voient en lui un personnage beaucoup moins compliqué que ce qu’il ne l’est réellement. Seul l’intéressé pourrait nous répondre mais il existe une telle différence d’intention, aujourd’hui, entre le Rob Zombie musicien et le Rob Zombie réalisateur que l’on est en droit de se demander si le cinéma n’est pas devenu la seule réelle voix d’expression pour l’artiste tant sa musique ne réserve plus aucune surprise et semble empêtrée dans une formule, certes efficace, mais que tout le monde connait par cœur depuis longtemps. Parallèlement à cette routine métalleuse, le mort vivant dreadeux expérimente à fond les ballons dans la forme depuis son deuxième Halloween et se plait, dans le fond, à jouer avec les attentes du public. Il a envie d’être enfin là où on ne l’attend pas.
HEIDI’S BABY
En citant Kubrick et Ken Russell en interview au moment de la post-production du film, le lord Zombie avait toutefois avoué avoir semé les germes d’une mutation de style. Il troque ainsi l’extrême violence physique et graphique d’Halloween 2 pour une angoisse moite et une réinterprétation des codes classiques de l'épouvante. Au delà des références à 2001 (plus que Shinning…) et Au-delà du réel (plus que Les Diables…), bien présentes mais finalement peu significatives, c’est surtout à la période schizophrénique de la filmographie de Roman Polanski que l’on pense, à savoir le triptyque Répulsions/Rosemary’s baby/Le Locataire. Conservant certain acquis ayant fait la force de ses précédents méfaits, comme l’incursion intempestive d’une horreur primaire (ici carrément païenne) dans une certaine middle class et la sur-iconisation des personnages à la fois à l’image et dans leurs psychés , Rob Zombie joue en plus la carte de l’horreur paranoïaque et n’hésite pas, tel Polanski en son temps, à encrer son récit dans une réalité fortement tangible qu’il ne connait que trop bien à force d’avoir usé les micros de toutes les radios locales d’Amérique pendant des années pour la promo de ses albums. Ici ce n’est donc plus la chair qui est ravagé, mais bien l’âme d’Heidi, personnage perdu d’avance (elle lâche prise dès le premier plan du film…) ayant commencé son chemin de croix bien avant le début de l’histoire. Là où l’on attendait un festival de caméos, c’est elle qui dicte son rythme et donne son identité à Lords of Salem. Quand la majorité des personnages de cinéma prennent de l’étoffe au cœur du déroulement du récit, nous avons ici à faire à une entité qui se désemplie au fur et à mesure de ses mésaventures. Dans une interprétation convoquant à la fois les girls next door chères au cinoche indépendant américain ou aux écrits de Nick Hornby et la Deborah Kerr des Innocents de Clayton, Sherry Moon Zombie trouve enfin la place d’exprimer un talent plus personnel et étendu que d’habitude, bien aidée il est vrai par une écriture sur-mesure.
LE TESTAMENT DU Dr. ZOMBIE
Reste bien sûr que ce ne sont certainement pas ces (louables) intentions qui ont provoqué la colère et le désamour des amateurs mais bien une dernière partie au style baroque quasi théâtral, expérimentale et torturée en diable mais toutefois limpide. Robert Cummings (c’est son vrai nom) semble signifier par cette démarche un véritable divorce avec tout un pan de l’horreur US dans laquelle il ne se reconnait certainement pas, pour aller tutoyer le travail stylisé et désespéré d’un Gaspard Noé ou d’un Winding Refn, cinéastes du sensitif convoquant eux aussi l’héritage de Kubrick et de Russell. Une ultime filiation, franchement inattendue, finissant de faire ressembler le film à long bad trip et son finale à cet état redouté des accros à la dope: la descente, parfaitement illustré par la chanson All Tomorrow's Parties du Velvet Underground. Doit on y voir un ultime pied de nez à un genre l'ayant à la fois nourri et frustré depuis plus de dix ans (on se souvient de ses mésaventures avec Universal, refusant de sortir La Maison des 1000 morts ou avec les Weinstein pour les deux Halloween) et à ces fans qui l'adulent puis lui chient dessus, parfois dans la même phrase, ou bien l'émergence d'un style iconoclaste et affirmé ? Tout ce que l'on sait c'est que son prochain projet devrait être un film de... hockey, et il ne serait guère étonnant de le voir signer celui-ci de son vrai nom. En attendant cela, pour tous ceux qui ne craignent pas d'être remués, de sortir des sentiers battus, d'expérimenter d'autres narrations et de nouvelles sensations, son film brille tel un diamant noir, à la fois lumineux et macabre, grotesque et magnifique, au milieu de la production horrifique actuelle.
Clément Gerardo