Looper

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Looper
États-Unis, 2012
De Rian Johnson
Scénario : Rian Johnson
Avec : Emily Blunt, Jeff Daniels, Paul Dano, Joseph Gordon Levitt, Bruce Willis
Photo : Steve Yedlin
Musique : Nathan Johnson
Durée : 1h58
Sortie : 31/10/2012
Note FilmDeCulte : ******
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Dans un futur proche, la Mafia a mis au point un système infaillible pour faire disparaître tous les témoins gênants. Elle expédie ses victimes dans le passé, à notre époque, où des tueurs d’un genre nouveau (les «Loopers») les éliminent. Un jour, l’un d’entre eux, Joe, découvre que la victime qu’il doit exécuter n’est autre que… lui-même, avec 20 ans de plus. La machine si bien huilée déraille…

LA FUSÉE RIAN

Lorsque Rian Johnson, auteur des trop peu vus Brick et Une arnaque presque parfaite - et que l'on peut considérer comme l'un des cinéastes les plus prometteurs des années 2000 - s'attelle au genre depuis toujours passionnant qu'est le film de voyage dans le temps, avec ce pitch génialement simple, dans une époque où la science-fiction semble offrir quelques nouveaux mètres-étalons du genre, il y a de quoi sévèrement trépigner. Et Looper ne déçoit pas. Il y a deux manières de faire des films sous influences. On ne voudrait pas dénigrer l'approche de quelqu'un comme Joseph Kahn, qui revisite de manière ostentatoire ses références telles que Retour vers le futur ou La Mouche dans son déjanté Detention, mais il faut avouer que l'on trouve plus intéressants les films qui parviennent à évoquer leurs illustres modèles sans que les clins d’œil ne s'affichent au néon sur l'écran. En s'inscrivant à 100% dans la mouvance actuelle des petites séries B de SF dirigées par des auteurs qui ont su digérer leurs influences plutôt que de les étaler, le nouvel effort de Rian Johnson vient se ranger aux côtés de petites réussites récentes telles que District 9 ou Moon. Ainsi, le personnage interprété par Joseph Gordon-Levitt renvoie autant au Rick Deckard de Blade Runner, amené à remettre en question tant sa fonction que son identité, qu'au Kyle Reese de Terminator, cousin thématique de Joe le looper dont il est à la fois un alter ego et son opposé. Looper donne d'ailleurs par moments l'impression d'être le produit de la réflexion intense d'un geek sur les tenants et aboutissants du célèbre film de James Cameron. Une démarche nullement étonnante de la part de Johnson dont le cinéma est très conscient de lui-même.

CONSCIENCE FICTION

Qu'une chose soit claire, si les films de Rian Johnson témoignent d'une qualité auto-réflexive, jamais le cinéaste ne se positionne dans un décalage flirtant avec le méta comme le fait un Shane Black. A chaque pas qu'il fait, à chaque étape, Johnson sait qu'il œuvre au sein d'un genre. Qu'il s'agisse du film noir dans Brick ou du film d'arnaqueurs avec The Brothers Bloom (oublions ce titre français indigne), l'auteur ne se limite jamais à de la série B de genre mais se sert toujours du genre comme d'un prétexte pour raconter autre chose. En transposant les codes du film noir dans un univers de teen movie, Johnson ne marie pas le polar avec de la comédie, mais adopte le point de vue de ses personnages, incarné par cette dramatisation que les adolescents font de leur propre vie, et signe un film profondément mélancolique. De même, les nombreuses arnaques des frères Bloom témoignent pour Johnson du besoin vital que l'on ressent tous de se raconter des histoires, et aussi ludiques soient-elles, Johnson ne perd jamais de vue le danger bien réel qui guette les protagonistes, pas forcément promis à un happy end. Parce que la grande qualité de Johnson, c'est son premier degré. Et son dernier opus ne déroge pas à la règle. Au risque d'enfoncer une porte ouverte, rappelons ce cliché : les meilleures histoires de science-fiction sont celles qui partent d'un postulat fantastique pour traiter de questions humaines plus universelles. Looper commence comme un film noir, avec sa voix off qui prend gentiment par la main et expose l'univers, à savoir un futur imparfait comme ceux de Terminator ou Robocop, urbains et sales, mais sans esbroufe. Johnson a tôt fait d'indiquer que la science ne sera pas au premier plan de l'histoire qu'il souhait raconter, allant jusqu'à faire du voyage dans le temps une manière glorifiée pour les mafieux de se débarrasser d'un corps. Rien de bien glamour. Aucune promesse de grandeur. Tout comme ce détail initial de la télékinésie, qui ne sert qu'à faire léviter des pièces pour draguer.

UNE BOUCLE PRESQUE PARFAITE

Toutefois, au cours de plusieurs séquences brillantes, Johnson a l'intelligence d'exploiter son concept pour offrir des idées parfois jamais vues auparavant dans le genre, comme ce qui arrive à ce personnage au début du film lorsqu'il désobéit à ses patrons qui ont tôt fait de le rattraper. La scène a le double mérite d'être non seulement terrifiante mais surtout de présenter la règle principale sur laquelle repose tout le film. Et plus que tout, Johnson traduit ces notions de manière visuelle exclusivement. Il en va de même pour ce montage, véritablement vertigineux, qui intervient à la fin du premier acte de manière totalement inattendue, et montre l'évolution du protagoniste, de manière muette. Cash. Looper est de ces films qui font confiance à l'intelligence du spectateur pour comprendre les règles sans explications lourdingues. Il y a bien une scène (volontairement) bavarde, dans un diner, mais qui sert justement à faire dire textuellement aux personnages qu'on est pas là pour débattre 107 ans des paradoxes temporels, inhérents au genre. Comme mentionné plus haut, Johnson est très conscient du genre dans lequel il officie. D'ailleurs, toute incohérence potentielle, inévitable dès lors qu'on joue avec les voyages dans le temps, est assumée d'emblée par le titre du film lui-même. La boucle est bouclée. Néanmoins, le film n'est pas exempt de maladresses. On peut avoir l'impression que Johnson avait avant tout plusieurs idées de scènes, magnifiques, fortes, que ce soit de l'action, ou de l'horreur, ou surtout de l'émotion, et qu'il a bâti son intrigue autour. Le tout est homogène mais le récit n'est pas un scénario ludique et carré comme celui de The Brothers Bloom. Même si l'ensemble tient debout, Looper s'avère moins rigoureux narrativement. Johnson ose une césure à mi-film qui opère un gros virage, à la fois dans le ton - on transite soudainement du film noir vers...Witness, l'autre référence assumée par le cinéaste - dans le genre un peu, et dans le rythme surtout. Dans un film plus vulgaire, ce changement ferait figure de twist, mais à vrai dire, le choix se révèle on ne peut plus cohérent vis-à-vis de la direction prise par l'intrigue. Et vis-à-vis de ce que Johnson veut raconter.

LE CHOIX DE SOPHISTE

Et il veut raconter plusieurs choses, articulées autour de la notion de choix, se servant de son concept de diverses façons. Dans un premier temps, il rend littérales les métaphores, par le biais de cette confrontation d'un homme et de son soi futur, le vieux réalisant l'égoïste qu'il était, le jeune réalisant l'égoïste qu'il pourrait devenir. Un face à face qui pourrait tomber à l'eau sans la performance de Bruce Willis en mode "héros tragique" et Joseph Gordon-Levitt qui continue de nous épater, incarnant Willis sans tomber dans la bête imitation, faisant oublier le maquillage. Dans la plus pure tradition de Philip K. Dick, Johnson traite également des troubles identitaires, Joe - personnage somme toute un peu antipathique quand on y pense - bénéficiant d'informations sur son avenir est-il destiné à telle vie? Mais l'aspect le plus parlant est sans aucun doute l’exploration d'une hypothèse célèbre, posant la question de savoir comment justifier un mal pour un bien, en apportant des réponses tour à tour horrifiantes et émouvantes. Et qui donnent une fois de plus naissance à de très belles scènes, rendues possibles uniquement grâce à ce type de concept et d'univers. La résolution de cet arc s'inscrit par ailleurs dans une thématique plus générale axée sur la filiation, qui se joue en filigrane et qui se fait vraiment étonnant et touchant, prêtant au film un propos que l'on était loin de soupçonner. Ou comment un film peut commencer comme Terminator et se terminer en plaidoyer sur l'importance de l'éducation. Looper n'est pas parfait, mais il fait preuve de trop d'originalité et de richesse pour pinailler, dans le fond comme dans la forme. A ce titre, il s'agit d'une nouvelle démonstration du talent de Johnson, avec cette mise en scène à la fois très voyante mais pas artificielle, dans cette manière de décomposer l'action de façon à pouvoir la filmer avec un côté simple, avec des cadres millimétrés, parfois juste un travelling bien senti. Le filmage donne tout de suite un côté pro à ses personnages et ça ne paraît jamais surfait pour autant. Ou bien de manière réfléchie, comme lorsqu'il oppose l'urbanité SF à base de flares avec les paysages ruraux de la seconde partie. La couleur est annoncée : on est pas dans un banal film de SF tout bleu post-Minority Report. A la ville comme dans les champs, c'est sombre et froid mais c'est un sombre et froid "réaliste". Brut, sans non plus avoir recours au grain. Il suffit de regarder la première scène. Brute de décoffrage. Sans fard. Une absence d'atours propre au genre auquel Johnson substitue une humanité bien plus pertinente. Devant une approche aussi sensée, devant une œuvre pourvue d'une telle âme, le constat est sans appel. Ce genre de film est trop rare pour ne pas être célébré.

par Robert Hospyan

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