Life During Wartime
États-Unis, 2010
De Todd Solondz
Scénario : Todd Solondz
Avec : Shirley Henderson, Ciarán Hinds, Allison Janney, Michael Lerner, Charlotte Rampling, Paul Reubens
Photo : Edward Lachman
Musique : Doug Bernheim
Durée : 1h36
Sortie : 28/04/2010
10 ans ont passé après les épreuves qu'a traversées la famille Jordan. Joy, qui découvre que son mari Allen n'est pas encore guéri de ses problèmes d'addiction, aimerait trouver du réconfort auprès de sa mère et de ses soeurs Trish et Helen, mais celles-ci ont leurs propres problèmes.
HUMAN AFTER ALL
Alors qu’il avait depuis longtemps envie de donner suite aux aventures de Dawn Wiener, l’héroïne de son premier film Bienvenue dans l’âge ingrat, c’est des sœurs Jordan de Happiness que Todd Solondz nous donne aujourd’hui des nouvelles. Revoilà donc, 12 ans après, le quotidien à la fois comique et glaçant de cette famille formidable qui n’a toujours pas réussi à trouver autre chose qu’une illusion de bonheur. Revoilà aussi le ton si particulier du film d’origine, entre rire jaune et rire salvateur. Avec Palindromes, son dernier film, Solondz avait élargi son registre en s’éloignant du grinçant/mordant pour employer un ton plus doux, et rendre plus poétiques et attachants ses personnages qu’on aurait auparavant trouvés sordides. Le matériel étudié est donc ici ancien mais le point de vue a évolué.
Il n’est pas indispensable d’avoir vu l’original pour suivre et apprécier les déboires de cette famille éclatée en plein naufrage, mais ceux qui l’ont vu pourront s’amuser à compter les nombreuses références, dès la très ironique scène d’ouverture. Le film privilégie deux des trois sœurs (la troisième est encore plus sacrifiée que dans le premier film), et les scènes les plus mémorables sont en effet celles qui montrent l’évolution des rapport entre Trish (la femme du pédophile, ici joué par Allison Janney) et son jeune fils, et surtout l’inénarrable Joy, dont l’actrice, Shirley Henderson, qui a pourtant un cv impressionnant, fait ici figure de vraie révélation, et se montre complètement à la hauteur de l’interprète d’origine. C’est d’ailleurs le premier point fort du film : le casting entièrement renouvelé (encore une idée puisée dans les changements d’identité de Palindromes ?) arrive à faire revivre les personnages qu’on reconnait très bien (on croise aussi des personnages de Bienvenue dans l’âge ingrat) sans jamais essayer de copier. Grace en soit rendue à l’impressionnante direction d’acteur et surtout la grande qualité d’écriture (justement récompensée par un prix du meilleur scénario à Venise). La provocation de certaines scènes est d’abord moins frontale qu’auparavant, le sexe et les déviances ne sont plus graphiquement au cœur du film (hormis une courte mais hilarante discussion entre Trish et son fils en début de film), et passé une première demi-heure, ne sert plus seulement à provoquer le rire. Le film prend peu à peu une direction plus amère, plus désabusée, sur ce qu’a pu devenir ce bonheur originel, sur l’évolution des personnages, qui courent tous désormais non plus après le bonheur mais après le pardon (à obtenir ou à accorder).
D’ailleurs intitulé dans un premier temps Forgiveness, le film met cette question de la rédemption au cœur de son récit, en multipliant les différents points de vue comme il l’avait fait autour de l’avortement dans Palindromes. A ce titre, c’est l’évolution du personnage de Joy qui en dit le plus long là-dessus, et qui est d’ailleurs à l’origine des meilleures idées du scénario, en parvenant en quelques courtes scènes à rendre de manière très juste ce mélange de tendresse et d’ironie typique de Solondz. On lui a d’ailleurs souvent reproché de se moquer de ses personnages alors qu’il ne porte aucun jugement sur eux, et que, comme le dit Charlotte Rampling, « Il n’est pas effrayé de laisser les gens être aussi monstrueux qu’ils le sont souvent ». Une question revient en leitmotiv dans le film : « Qu’est ce ça veut dire, être un Homme ? ». Solondz nous montre qu’en ne parvenant pas à y trouver une réponse malgré tous leurs efforts, ses personnages prouvent qu’ils sont bel et bien humains.