Land of the Dead

Land of the Dead
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Land of the Dead
George Romero's Land of the Dead
États-Unis, 2005
De George A. Romero
Scénario : George A. Romero
Avec : Lara Amersey, Asia Argento, Simon Baker, Jennifer Baxter, Dennis Hopper, Pedro Miguel Arce
Durée : 1h33
Sortie : 10/08/2005
Note FilmDeCulte : *****-

Dans un avenir pas si lointain, une poignée de survivants barricadés dans une ville bunker vit encore dans le souvenir de l’ancien monde. Des zombies, qui désormais pensent et communiquent, s’organisent pour prendre d’assaut cette cité imprenable. Kaufman, autoproclamé chef des vivants, engage un commando de mercenaires pour contrer les attaques de ces morts-vivants d’un genre nouveau.

LE RETOUR DU MORT VIVANT

D’un côté, l’attente quasi intolérable provoquée par cette arlésienne promise depuis vingt ans, ce légendaire quatrième tome de la saga des morts-vivants... De l’autre, la peur évidente d’être déçu par un cinéaste devenu dans le même laps de temps l’ombre de lui-même, un pur has been accumulant les projets sans jamais les concrétiser, réalisant trois longs métrages passables en quinze ans, se voyant réduit à tourner des films publicitaires pour les jeux vidéos Resident Evil, eux-mêmes inspirés de ses propres œuvres. George A. Romero pouvait-il atteindre les sommets établis par ses trois précédents chapitres, et notamment par le second (Zombie), véritable date dans le cinéma d’horreur, œuvre à la fois terrifiante et intelligente, ornant l’épouvante et les effets gore d’une véritable critique du consumérisme? Une fois passée la très relative déception (Land of the Dead est sans aucun doute le moins bon épisode de la tétralogie), reste l’évidence: Romero revient. Au faîte de son art, au firmament de sa hargne, forgeant une authentique parabole sur l'actualité des Etats-Unis, pointant du doigt là où ça fait mal, multipliant les astuces scénaristiques et thématiques. Alors que Carpenter ne donne plus signe de vie depuis Ghosts of Mars, que Craven se fourvoie dans le désastre financier et artistique de Cursed, que Hooper est déclaré R.I.P. dès son troisième film, c’est aujourd’hui du côté de Romero qu’il faut chercher les restes d’un cinéma horrifique intelligent, métaphorique, épargné par ce second degré qui a fait la gloire des années 80. Et même si un rien mollasson (le montage ultra cut de Zombie était dû principalement à Argento, Romero étant pour sa part - en dépit de certaines accélérations dans Le Jour des morts-vivants ou Knightriders – réputé pour son montage à l’ancienne, privilégiant la montée progressive de l’angoisse), Land of the Dead surpasse sans effort la quasi totalité de la production horrifique de ces dernières années.

Dès le premier plan, terrifiant travelling le long d’un parc infesté de zombies, la patte Romero se fait ressentir - celle principalement de la version américaine de Zombie, dans laquelle le cinéaste précédait l’action d’une représentation globale de l’espace investi. La nuit, un parc, un kiosque à musique, des zombies tentant maladroitement de reproduire quelques accords à l’aide de leur instrument, et de nouveau cette thématique des morts-vivants ne devenant que l’ombre de nous-mêmes, effectuant les gestes de la vie quotidienne comme autant de réflexes dénués de tout raisonnement. Allégorie prolongée par la plus belle idée du film, la plus poétique également, celle montrant des zombies les yeux en l’air, hypnotisés par des feux d’artifice lancés par des humains. Le cinéaste poursuit son exploration de la psyché humaine doublée d’une étude des comportements: le zombie reproduit à l’extrême, à la caricature, nos propres habitudes, et cette scène des feux d’artifice pousse la métaphore à son paroxysme. Concept prégnant dans les précédents épisodes de la saga (Bub singeant les militaires dans Le Jour des morts-vivants), mais également dans le sous-estimé Incident de parcours, chef-d’œuvre de série B dans lequel un singe capucin reproduit à l’identique les mouvements et émotions de son maître. Dès ses premiers films (La Nuit des morts-vivants notamment, mais aussi The Crazies), George Romero a toujours rapproché l’être humain de l’animal, soulignant les rapports et les concordances que les deux entretiennent ensemble, et le flou est renforcé dans ce dernier film. Des morts ou des vivants, qui sont les véritables zombies? Lorsque les monstres prennent nos habitudes, nous remplacent dans nos maisons et dans notre vie quotidienne, alors que nous-mêmes sommes parqués dans une enclave aux fausses allures de jardin d’Eden, ne deviennent-ils pas finalement plus humains, et surtout plus vivants, que nous?

TOUCHE PAS A MON POTE

Alors que le suicide semblait la seule échappatoire à l’enfer sur Terre dépeint par les précédents épisodes, ici l’un des héros accepte son devenir zombie, avouant même qu’il a toujours "rêvé de savoir ce que cela faisait." On sait que l’un des scénarii originaux du Jour des morts-vivants contenait à la base une armée de zombies éduqués, conditionnés par les scientifiques, capables de réflexion et de coordination. Limité par un budget restreint de trois millions de dollars, Romero s’était vu contraint à l’époque de laisser cette idée au placard, la conservant dans un coin de sa mémoire pour mieux l’exploiter aujourd’hui. Intelligent, le zombie de Romero fait un nouveau bond dans l’échelle de l’évolution, apprend à manier des armes, devient amphibien, remplaçant le vivant jusque dans la structure même du scénario: au héros noir romerien (Duane Jones dans La Nuit des morts-vivants, Ken Foree dans Zombie et Terry Alexander dans Le Jour des morts-vivants) succède aujourd’hui le fameux Big Daddy (allusion au Big Daddy Mars de John Carpenter?), monstre évolué, dernier échelon de l’évolution zombiesque au maquillage volontairement sobre. Qui est le héros aujourd’hui, qui est le personnage principal? Le fade Simon Baker ou plutôt ce nouveau chef d’une armée de morts-vivants, joué par un acteur noir, ancien tenancier d’une station service (le chef des assaillants, des "ennemis de l’Amérique", travaillant finalement dans le secteur pétrolier, incroyable ironie politique osée par le cinéaste)? Alors que la civilisation humaine se dégrade peu à peu, renforcée par les inégalités tacitement encouragées par les dirigeants de cette ville bunker, celle de nos remplaçants aspire à la richesse et à la régie de notre planète. Délaissés dans une Amérique dévastée, chair à canons destinée à être tuée ou à tuer, les morts-vivants deviennent le reflet d’une société contemporaine dans laquelle les pauvres envahissent les rues, se nourrissant de l’image que leur envoient les riches.

Et d’un point de vue purement cinématographique, qu’en est-il de ces zombies? Alors que Le Jour des morts-vivants (ainsi que le remake signé Tom Savini de La Nuit des morts-vivants) avaient repoussé très loin les limites de l’horreur graphique et de la vision post-mortem, Romero fait sensiblement ici marche arrière. Moins de sang, moins de tripaille, une utilisation surabondante du hors champ et surtout des ombres chinoises (qu’il utilise relativement bien, reconnaissons-le), l’horreur est ailleurs. Dans ces visions dantesques sans doute, où le cinéaste privilégie l’impact numérique à l’horreur sanglante et individuelle. Certains plans du film restent proprement terrifiants, et l’on repense avec effroi à celui cadré en plongée d’une avenue infestée de zombies ressemblant à autant d’insectes à l’assaut d’une forteresse. Plus besoin de gore, l’horreur est aux portes de la ville. Et si le film déçoit légèrement à ce niveau (une version non censurée comprenant plusieurs minutes supplémentaires est toutefois prévue en DVD), il reste largement supérieur aux visions horrifiques proposés par les zombie-movies plus récents, justement de par l’ambition qu’il prend. Parce que Romero, mis en confiance par l’aura dont peuvent bénéficier les précédents films de la série, se permet de délaisser (relativement) le gore pour le remplacer par une assimilation totale du genre. Là où Zombie s’attardait sur de gros plans sanguinolents, Land of the Dead repousse les limites de l’horreur en proposant des plans larges d’orgies sanglantes, des panoramiques sur des hordes de zombies armés dans lesquelles – immense force du cinéaste et véritable différence avec la récente Armée des morts par exemple – il se permet de donner une personnalité à chacun. Les morts-vivants approchent, ils sont là, devant nous, existant aussi bien individuellement que collectivement.

QUAND ON ARRIVE EN VILLE, LES GENS CHANGENT DE TROTTOIR

"Land of the Dead se déroule dans un monde dévasté, explique le cinéaste. A l’intérieur des villes, quelques enclaves seulement bénéficient encore de l’électricité. Dans ces enclaves, survivent des gens qui essaient de mener l’existence la plus normale possible. En fermant les yeux sur ce qui se déroule à l’extérieur, ils commettent une grave erreur. Une situation qui nous ramène à l’idée même du terrorisme à l’heure actuelle." Pensé et écrit bien avant les événements du 11 septembre, le scénario a été remanié pour les intégrer. Dans un sens, on pourrait conclure que Land of the Dead est le premier film avec La Guerre des mondes de Spielberg, à donner une véritable vision – même si métaphorique – de l’événement qui traumatisa l’Amérique et lui fit "prendre pleinement conscience de l’état du monde, voir à quel point il s’est dégradé." Mais bien avant de regarder vers l’extérieur, Romero radiographie la vie quotidienne de son propre pays. Reprenant à son compte une constante du film de science-fiction (on repense forcément à Metropolis, notamment), il échafaude une ville dans laquelle l’ascension sociale correspond à l’élévation géographique: les riches trustent le sommet des tours, les pauvres se débattent dans la fange et les maladies des bas-fonds de la ville. Archétype même de la saga romerienne (voire même de la thématique de l’œuvre entière du cinéaste), l’idée selon laquelle les humains, face à l’adversité, s’autodétruisent au lieu de s’entraider, se fait plus que jamais évidente. Là où le clivage se faisait principalement entre civils et militaires dans le chapitre précédent, il devient ici plus universel, et le film de décrire un monde dans lequel des riches ont recréé leur ancienne et luxueuse vie avec ce qu’elle comporte de facilités et d’abondance, passant leur temps dans les vestiges rénovés d’un monde révolu et vivant principalement du labeur des plus pauvres. Au-delà même des clins d’œil évidents à Zombie et son paradisiaque centre commercial, au-delà du pêché de la luxure que dénonce le cinéaste, c’est l’apathie générale qui est ici pointée du doigt. Apathie bien entendu mise à mal rapidement par un sous-monde en ébullition, proche de la révolution.

"On ne négocie pas avec les terroristes." Alors que la réélection de George W. Bush survient en plein tournage, cette déclaration du personnage joué par Dennis Hopper ne raisonne que mieux comme une parabole sur la conjoncture actuelle de la première puissance mondiale. "Chaque film de la saga reflète à sa manière le climat politique et social de son époque, explique le réalisateur. Si les histoires que j'y raconte sont finalement assez proches les unes des autres, elles prennent tout leur sens par le contexte dans lesquelles elles se situent. C'est un concept inhabituel, mais il permet, politiquement parlant, de saisir l'air du temps tout en poussant plus loin le tableau d'une lente dégradation de l'humanité." Embarqués dans le Dead Reckoning (titre original du film), un camion blindé et surarmé aux vagues airs de "Monstre" du tricolore Terminus, les dissidents menacent de pointer leurs tirs sur la plus haute tour de la ville. La guerre se déplace vers le centre même des richesses, menaçant l’équilibre précaire élaboré par Kaufman. Osant reproduire à l’écran le traumatisme du 11 septembre, représentant la menace terroriste avec une clarté et une évidence inouïes (on se demande encore comment certaines idées et répliques ont pu passer le filtre de la censure américaine), George Andrew Romero assène une charge politique d’une violence rare, poussant à leur paroxysme les idées prégnantes dans les trois précédents segments, à défaut d’en conserver la puissance visuelle et narrative – les scories du film sont évidentes. Comme celui de Carpenter, le cinéma de Romero s’épure et se débarrasse du superflu, abandonnant pour le pire et le meilleur l’aspect spectaculaire pour mieux se concentrer sur le palimpseste. Comme Ghosts of Mars, avec lequel il entretient certaines concordances, Land of the Dead subira des attaques, fera face à des incompréhensions. Largement moins brouillon, il risque de laisser une trace bien moins périssable que celle de son discutable aîné... En attendant un tome 5 que l’on souhaite apocalyptique.

par Anthony Sitruk

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