King Lear

King Lear
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King Lear
États-Unis, 2002
De Jean-Luc Godard
Scénario : Jean-Luc Godard, Norman Mailer
Avec : Woody Allen, Leos Carax, Julie Delpy, Jean-Luc Godard, Norman Mailer, Burgess Meredith
Durée : 1h40
Sortie : 03/04/2002
Note FilmDeCulte : *****-

Au lendemain de l’explosion atomique du réacteur de Tchernobyl, un jeune cinéaste, arrière petit-fils de William Shakespeare part sur les lieux du drame à la recherche de ce qui reste de l’art.

Représentatif de la carrière de Jean-Luc Godard, King Lear, adaptation de la pièce de Shakespeare, devient un film sur le langage, sa recherche et sa représentation. Ce qui est sans conteste un comble pour un film resté invisible - suite à la banqueroute de ses producteurs, les moguls Golan et Globus, responsables des films de Chuck Norris et de Michael Dudikoff - depuis 15 ans. Comme si l’on avait cherché à le bâillonner, à l’empêcher de partager ce qu’il avait à dire. Entièrement écrit en anglais, le film cherche à se rapprocher de ce langage quasi inconnu du cinéaste. Chez Godard, le langage fait mal, les mots déforment les bouches, la langue est chuchotée dans une grammaire approximative par un narrateur joué par le cinéaste lui-même. Dernier représentant de cette idée de transmission du langage, cherchant une nouvelle fois à démontrer la Puissance de la parole, Godard oublie qu’il tourne non plus pour les héritiers de Gaumont, mais pour ceux de Roger Corman et Charles Band, alors en quête de respectabilité. Mais la technique est la même: pousser le langage jusque dans ses derniers retranchements, le tordre jusqu’à en extraire les mots importants, les mots décisifs, ceux qui l’aideront à finaliser ce film tourné dans le dos (nous reviendrons dessus).

Communication, donc, et son corollaire trop souvent évident, manque de communication. Dans le couple, dans la famille (les rapports du vieux truand et de sa fille). Manque d’honnêteté des dirigeants russes qui cachèrent au monde entier la tragédie nucléaire. Des défenseurs de l’énergie nucléaire, persistants à nier l’improbabilité des rapports officiels faisant état de seulement 32 victimes de la catastrophe. Shakespeare n’est qu’un prétexte, on l’aura compris. Bien que reprenant la trame principale ainsi que les thèmes de la pièce du dramaturge anglais, Godard n’en garde que la substance afin d’en extraire la modernité, et de la fusionner avec l’actualité. 1986: explosion du réacteur de Tchernobyl. Que reste t-il de cette région du monde? Pas grand chose. La technologie, la communication – symbolisés par ce vieil ermite aux longs cheveux faits de câbles et de fils électriques - soit, mais que reste t-il de l’Art? Rien, celui ci a disparu de la surface de la Terre. Allégorie sur l’angoisse d’un vieux monsieur de se voir réduit au silence par les financiers et les scientifiques qui dirigent aujourd’hui le cinéma, King Lear est un cri d’alerte autant qu’un cri de révolte. Un cri étouffé depuis plus de 15 ans. Une mise au point, une mise au clair – a clearing, anagramme approximatif du titre. Que reste t-il de l’Art? Quelques vieux clichés, auxquels on appose des prénoms de cinéastes. Pier, Jean, Roberto, Alfred, Orson, Howard… Leurs véritables noms sont aujourd’hui inconnus et il ne reste plus rien d’eux. Des photos, quelques titres. Des fantômes. Comparables à ceux des victimes de Tchernobyl qui suivent et miment l’arrière-petit-fils de Shakespeare.

Shakespeare, Tchernobyl, le cinéma. Et la traîtrise. De Godard? De Golan et Globus, qui découvrent le film lors de sa projection de presse, à Cannes, après en avoir perdu le contrôle total durant l’année qui a précédé? N’hésitant pas à citer ouvertement les noms de ses producteurs, accompagnant son générique d’une conversation téléphonique dans laquelle Godard se fait violemment menacé par Menahem Golan qui lui reproche de ne pas faire un film "classique", Godard tourne véritablement un film dans le dos – A picture shot in the back. Tout comme on dirait d’une balle tirée dans le dos. Il dénonce l’attitude de ses producteurs lui ordonnant d’éviter toute scène de nudité afin d’éviter une classification désastreuse pour la carrière en salle du film. Evoquant également le départ du premier scénariste prévu, Norman Mailer, Godard va jusqu’à lui faire jouer une scène, la première, dans laquelle le scénariste jouant son propre rôle avoue les raisons de son départ, basé sur un différent artistique. La Cannon n’a manifestement pas apprécié la plaisanterie, le contrat signé un an plus tôt, selon la légende, sur une nappe en papier, se soldant en 1987 par des menaces de procès contre Godard.

Re-création d’un matériau existant, le film de Godard reste une œuvre mineure, mais surprenante et attachante dans la carrière du cinéaste suisse. Jouant une nouvelle fois le rôle d’un clown à mi chemin entre Chaplin et Tati, comme il l’avait déjà fait pour Soigne ta droite, Godard adopte ce ton léger qui le caractérise aux yeux de ceux acceptant de voir dans ses films autre chose que de l’orgueil et de la masturbation intellectuelle. Et nous donne involontairement quinze ans après sa réalisation une nouvelle histoire du cinéma nous permettant d’attendre sereinement son prochain film, tourné conjointement avec Anne-Marie Mielville, The Old place.

par Anthony Sitruk

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