Killers of the Flower Moon

Killers of the Flower Moon
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Killers of the Flower Moon
États-Unis, 2023
De Martin Scorsese
Scénario : Eric Roth, Martin Scorsese
Avec : Robert De Niro, Leonardo DiCaprio, Brendan Fraser, John Lithgow
Photo : Rodrigo Prieto
Durée : 3h26
Sortie : 18/10/2023
Note FilmDeCulte : *****-
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Au début du XXème siècle, le pétrole a apporté la fortune au peuple Osage qui, du jour au lendemain, est devenu l’un des plus riches du monde. La richesse de ces Amérindiens attire aussitôt la convoitise de Blancs peu recommandables qui intriguent, soutirent et volent autant d’argent Osage que possible avant de recourir au meurtre…

AMERICA WAS BORN IN MAIN STREET

Martin Scorsese, 80 ans, a décidément élu de faire des films en se fichant de tout ce qui attrait à ce que les studios ou son public pourraient attendre de lui. Après avoir offert le typiquement scorsesien Le Loup de Wall Street (2h59), dans la familiarité duquel on pouvait se glisser bien au chaud, le cinéaste a enchaîné avec un Silence des plus arides (2h41) et un The Irishman comme une lente procession vers la mort (3h29), à des kilomètres des Affranchis. À bien des égards, Killers of the Flower Moon (3h26) poursuit, pour ne pas dire surenchérit, sur cette lancée, continuant le dialogue avec son propre cinéma entamé par Scorsese sur son précédent, en le doublant d'une réflexion sur l'Histoire du Cinéma en général et par conséquent de l'Histoire tout court.

Les premières minutes donnent le ton, faisant se succéder un rite funéraire où l'on enterre non pas une personne mais une culture et l'éruption d'un gisement de pétrole qui va provoquer à la fois l'enrichissement et la chute de tout un peuple, avant d'enchaîner sur une exposition où l'habituelle voix-off des épopées scorsesiennes se voit remplacée par des cartons du cinéma muet et une image au format 4:3. D'emblée, Scorsese inscrit donc son récit dans une dialectique avec la représentation cinématographique. Et le film de commencer à chambouler les idées reçues, notamment à cause du cinéma, sur les natifs américains. Déjà, il y a la temporalité du film, à savoir cette Amérique du début du XXe siècle qui ne cessera jamais d'étonner, où l'Ouest paraît encore sauvage, où le progrès semble n'avoir atteint que les moyens de locomotions mais pas les lois et encore moins les mentalités. C'est encore un monde de "cowboys". La ville se résume encore à une (1) rue principale. Martin Scorsese's Main Street. Le slogan de Gangs of New York était "L'Amérique est née dans les rues" et il suffirait de passer au singulier pour décrire cette nouvelle vision de l'auteur de la naissance d'une nation. Dans ces États-Unis encore émergeant, on peut donc voir des natifs américains comme on en a jamais vu dans un western, opulents et en position dominante. Même si certains voient leur richesse gérée par un curateur, ce sont eux que les blancs prennent en photographie, mendient, conduisent...et séduisent.

Avant même de connaître les parti-pris de l'adaptation que Scorsese et Eric Roth - l'illustre co-scénariste de Révélations et Munich entre autres mais également de Raisons d'état qui est sans doute ce qu'il a signé de plus proche - tirent de l'ouvrage de non-fiction de David Grann, qui avait pour sous-titre The Osage Murders and the Birth of the FBI, le film déroute également en se délestant d'entrée de jeu de tout mystère. La première version du scénario suivait Tom White, fils d'un shérif et ancien Texas Ranger devenu agent du fraîchement formé Bureau of Investigation, pas encore Federal, venir enquêter sur les morts mystérieuses d'indiens Osage. Leonardo DiCaprio devait tenir le rôle et Robert De Niro celui de William Hale, éleveur et principal architecte de la tragédie. De l'aveu de Scorsese lui-même, ils se sont rendus compte que le coeur de l'histoire résidait davantage dans le couple formé par le neveu de Hale, Ernest Burkhart, et sa femme Osage, Mollie. Préférant ce protagoniste infiniment plus complexe, DiCaprio changea de rôle et le film changea complètement de point de vue, abandonnant l'axe white savior adopté jusque là pour se focaliser sur la dynamique qui lie Burkhart à sa femme ainsi qu'à son oncle. À ce titre, le film est porté par un trio d'acteurs exemplaires. Lily Gladstone est une révélation, avec une performance tout en dignité, en rage et en souffrance contenue. DiCaprio, amoché, abêti, campe un être à la fois humain et vil tandis que De Niro suit dans les pas du Bill the Butcher de Gangs of New York. Daniel Day-Lewis s'y adressait à DiCaprio en disant "Amsterdam, I am New York" et ici, il aurait tout aussi bien pu se présenter comme étant "l'Amérique", pas simplement un parangon de capitalisme mais une manifestation de ce qu'il peut avoir de plus cynique et froid, d'un racisme tellement enraciné qu'il ne saurait même pas se considérer comme tel.

En rejetant l'enquête et son héros à Stetson tout désigné, Scorsese subvertit les attentes et le genre, préférant la lente marche funéraire, inlassablement rythmée par cette rengaine de feu Robbie Robertson, comme un chant funèbre country, d'un récit qui ramène tout un génocide à l'intimité d'une famille. En cela, ça m'a fait penser au Parrain, mariage et durée compris. Cette longueur est à la fois celle qui sied aux oeuvres-fleuve, nécessaire pour égrener la chute d'une sororie et par extension d'un peuple et d'une culture tout entière (et Jack Fisk, chef décorateur de Terrence Malick et There Will Be Blood et The Revenant, fait tout ce qu'il faut avec les 200M$ de budget pour que ça en ait l'air), mais il est évident qu'avec l'âge, le metteur en scène accorde une place prépondérante à la notion de temps qui passe. Et qui efface tout. Et il ne peut plus être complice de la responsabilité de son art chéri dans cette entreprise, comme en témoigne l'incroyable fin, à la limite de briser le quatrième mur, de ce western anti-capitaliste qui corrige une Histoire faussée par le cinéma. Fort.

par Robert Hospyan

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