CPH:Dox : Kékszakállú

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Kékszakállú
Argentine, 2016
De Gastón Solnicki
Durée : 1h12
Note FilmDeCulte : *****-
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Plusieurs jeunes femmes, issues de milieux aisés, se retrouvent à devoir réfléchir à leur place dans une société en pleine récession.

FEMMES DE PRIVILÈGE

Kékszakállú: derrière ce titre fort mystérieux - et difficile à prononcer - se cache un film non moins incroyable. Un film unique, à mi-chemin entre réalisme documentaire et fiction radicale, entre grande élégance visuelle et puissantes métaphores. Une révélation venue d'Argentine, qu'on espère bientôt diffusée en France après un parcours impressionnant en festivals (Venise, Toronto, New York, Mar del Plata, Rotterdam et maintenant CPH:DOX). Kékszakállú suit une poignée de personnages, des jeunes femmes toutes issues d'un milieu particulièrement aisé, et toutes à un stade différent de leur passage à l'âge adulte. Chacune va devoir trouver sa place dans une société en pleine récession, et choisir ou non de sortir de son cocon. Voilà pour l'"histoire" de Kékszakállú, mais ce résumé ne rend pas suffisamment justice à la modernité de l'ensemble.

On emploie souvent le terme d'ovni pour qualifier des films aux récits abracadabrantesques et foisonnants. Celui de Kékszakállú tiendrait au contraire presque sur un post-it, il fait partie de cette famille de films trop souvent raillée où il a l'air de "de ne rien se passer" alors qu'il s'y trame précisément beaucoup de choses pour qui sait lire entre les lignes. Kékszakállú est un ovni, parce qu'il pousse le coté minimal de son récit jusqu'à la radicalité. Le film enchaîne en effet les scènes de loisirs oisifs et confortables, en apparence triviales et dépourvues d'enjeux, sans que semble se dégager un récit clair. Il se passe pourtant quelque chose de passionnant: un malaise s'installe progressivement, venu d'on ne sait où, comme un nuage inattendu qui viendrait gâcher une après midi farniente au bord de la piscine. On pense à Historia del Miedo ou The Crack, deux autres singulières découvertes venues récemment d'Amérique latine, qui n'avaient pas peur non plus d'allier silence, lenteur et tension. Mais jusqu'au bout, Kékszakállú déjoue les attentes et les comparaisons.

Le réalisateur Gastón Solnicki parvient à exécuter une sacré pirouette: parvenir à rendre palpable la violence, sans jamais la montrer clairement à l'écran. Inutile de s'attarder sur l'usine à saucisse d'à côté, inutile de filmer des confrontations ou du misérabilisme trop explicites: sa mise en scène seule parvient à nous faire ressentir le coté irréel de ce petit monde luxueux, bulle coupée de réel par quelques palissades au fond du jardin. La violence en question est bien sûr sociale: les riches y sont coupés du vrai monde comme par un mur invisible, de manière presque fantastique. Mais en filigrane se dessine une autre forme de violence: celle d'une condescendance masculine à laquelle on n'échappe pas, même quand on parvient à s’extraire de son milieu. Certaines de ces jeunes filles laissent derrière elle le poids d'un héritage paternel, d'une relation amoureuse trop protectrice, d'attentes familiales étouffantes, pour se retrouver traitées avec la même complaisance ailleurs. Chez les riches comme chez les pauvres, la société est faite pour les hommes avant tout. D'ailleurs que signifie l'étrange titre du film ? Il s'agit du nom de l'unique opéra signé du compositeur Béla Bartók. Or, en hongrois, Kékszakállú signifie... Barbe-bleue. Les portes les plus dangereuses à ouvrir ne sont peut-être pas celles des demeures de luxe, mais celles des cases dans lesquelles on enferme les jeunes filles...

par Gregory Coutaut

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Kékszakállú est présenté dans le cadre du Festival documentaire CPH:Dox de Copenhague.

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