Kedma
Israël, 2002
De Amos Gitaï
Scénario : Amos Gitaï, Marie-Jose Sanselme
Avec : Andrei Kashkar, Menachem Lang, Juliano Merr, Veronica Nicole, Helena Yaralova Rossa
Durée : 1h40
Sortie : 22/05/2002
Mai 1948. Le Kedma, un vieux cargo avec à son bord des rescapés de l’Holocauste, accoste une plage palestinienne. Le rêve de la terre promise s’efface lentement. Les soldats du Palmach, l’armée clandestine juive, aident les réfugiés à fuir l’armée britannique puis les enrôlent dans une guerre sans fin contre les Arabes.
Un premier plan-séquence sublime résume le parti pris esthétique et idéologique d’Amos Gitai pour Kedma : de l’intime à l’expérience collective, du traumatisme au fantasme par de longs plan-séquences savamment composés. Une femme de dos se glisse dans le lit de son compagnon. La caméra s’écarte peu à peu : le couple d’amants n’est pas seul, n’a aucune intimité. Evocation d’un camp de prisonnier, d’un camp de concentration ? La caméra s’écarte de nouveau, s’éloigne et nous montre la vérité : le couple est dans la cale d’un bateau de réfugiés juifs traumatisés par la seconde guerre mondiale et l’Holocauste, prêts à débarquer sur leur terre promise, la Palestine.
Amos Gitai remonte le temps. Kadosh évoquait le fanatisme religieux contemporain, Kippour relatait son expérience de la guerre, Eden et Kedma son dernier opus s’interrogent sur la fondation de l’état d’Israël, sur l’origine du conflit entre Israéliens et Palestiniens. Sans aucune fantasmagorie ni démagogie, Kedma distille un parfum tenace, celui de la vérité. Les émigrés, dès leur arrivée, sont embrigadés par la Palmach, l’armée clandestine israélienne. Ils ne parlent pas la même langue, n’ont pas la même culture, mais se battent ensemble non pas pour une cause, non pas pour un pays mais pour un rêve, pour une expiation des malheurs subis. Audacieux discours d’un cinéaste israélien pacifiste qui montre les Palestiniens comme un peuple chassé de leurs terres, volés symboliquement de leurs biens et contraints à l’exil.
Amos Gitai ne cherche pas la réalité historique, n’établit pas une reconstitution minutieuse des faits. Il cherche à saisir la vérité des êtres, leurs tourments intérieurs, par de longs monologues douloureux, exaltés ou susurrés, bavards ou quasi-muets. Cela donne une forme rigoureuse, austère mais qui sert parfaitement le propos. Pas de romance ni de romanesque, Amos Gitai n’est intéressé que par le brut, par le discours. Les deux monologues finaux se répondent en un seul cri de douleur : "Nous vous défierons, nous resterons, nous laverons les plats, nous nettoierons le carrelage, nous serons mal habillés, nous aurons faim, nous ferons des enfants révoltés" prédit le vieux palestinien, "Israël n’est plus un pays. Il ne l’a jamais été. L’avenir nous le dira. Tout est foutu.", avoue Yanoush en symbole du juif errant. Deux échos lointains aux répercussions contemporaines, hélas bien réelles.