Juana C. The Movie
Philippines, 2013
De Jade Castro
Avec : Mae Paner
Durée : 1h35
Les mésaventures de Juana, jeune provinciale atypique à la féminité généreuse. Fraichement diplômée, elle quitte sa campagne pour la ville...
I NEED A HERO
Juana C. The Movie est un film qui ne verra hélas probablement jamais l’ombre d’un écran de distribution chez nous. Pourtant, aux Philippines, Juana Change est un personnage récurrent, héroïne de sketchs et programmes télévisuels où, sous les traits de son alter ego, la comédienne Mae Paner balance avec un mélange de crudité et de fausse ingénuité sur les problèmes socio-politiques du pays : corruption, scandales sexuels des dirigeants ou encore fanatisme religieux. Farces camp où Juana C porte toutes les perruques de Cher réunies, se déguise en Mère Noël puis en Vierge Marie (voire les deux en même temps), ses courts-métrages ont surtout pour but non-dissimulé d’inciter les spectateurs à réagir face aux inégalités. Juana C. The Movie est la version cinématographique de ses aventures, signée Jade Castro (réalisateurs du déjà dingo Zombadings) et Moira, scénariste de ce dernier mais aussi productrice de Lav Diaz (lire notre entretien). Une collaboration qui donne d’emblée le ton du film : un pied dans le kitsch, l’autre dans le sérieux.
Le film est donc entièrement taillé pour son héroïne éponyme. Et aucun habit n’est trop grand pour un tel personnage. Au-delà des improbables embûches postées sur son chemin (rencontre avec une mère maquerelle démoniaque, menace terroriste et complot gouvernemental), le principal ressort comique du film est l’inadaptabilité de Juana, ou plutôt la supériorité avec laquelle elle mène sa barque. Juana n’a pas d’âge mais elle se fait passer pour une étudiante afin de mener une vie à la Bling Ring. Juana a une silhouette improbable, mais porte des tenues à rendre une drag-queen jalouse et couche sans problème avec des bombasses. Juana brise les cœurs de tous les hommes et se joue des méchants, et jamais le film ne vient remettre en question l’évidence de sa réussite. Inadaptée et gaffeuse et apparence, elle est pourtant moins proche d’un personnage de comédie classique que d’une créature résolument différente. Juana a beau vivre dans un univers des plus concrets, elle semble appartenir à une autre espèce que tous les autres personnages. Dans la grande tradition des comédies camp, c’est un personnage hors normes et hors genre qui sauve la situation. Et même si son abattage rappelle parfois les meilleures figures queer, cette femme biologique est pourtant plus proche d’une créature extraterrestre ou fantastique.
Parmi les très bons gags du film, on trouve la destinée la plus incroyable possible réservé à un personnage: rongée par l’acide, Angeli Bayani (la gouvernante de Ilo Ilo!) se retrouve réduite progressivement à… une vulve parlante. Hélas, en dépit de cette folie, Juana C. The Movie est souvent ralenti par un rythme inégal et parfois fastidieux. Mais derrière cet humour camp et potache se trouve un scénario qui prend très au sérieux les questions sociales. Comme cela était déjà le cas dans Zombadings, la comédie n’empêche pas une ouverture d’esprit bien plus grande et un discours plus solide que dans bien des films-à-sujets tièdes et lisses (y compris un grand nombres de très mauvais films LGBT). Les problèmes économiques, la corruption politique et la désertion des campagnes sont des sujets réellement traités qui ne sont pas oubliés une fois passé le dénouement. Le happy end est sérieusement assombri d’ailleurs par un amer retour à la réalité, preuve que le film est bien moins naïf et superficiel qu’il n’en n’a l’air.