Journal d’une femme de chambre
France, 2015
De Benoît Jacquot
Avec : Vincent Lindon, Léa Seydoux
Sortie : 01/04/2015
Début du XXème siècle, en province. Très courtisée pour sa beauté, Célestine est une jeune femme de chambre nouvellement arrivée de Paris au service de la famille Lanlaire. Repoussant les avances de Monsieur, Célestine doit également faire face à la très stricte Madame Lanlaire qui régit la maison d’une main de fer.
LA FILLE DE NULLE PART
Il y a une certaine forme de logique à voir Benoit Jacquot adapter à son tour le fameux roman d’Octave Mirbeau, presque soixante-dix ans après la version réalisée par Renoir, et cinquante ans après celle de Buñuel. Il est aisé de voir ce qui a pu lui plaire dans cette histoire d’émancipation contrariée, lui qui a signé tant de portraits de jeunes filles bouillonnantes sous leurs airs de fleurs fragiles. Comme La Fille seule (qui pourrait être le surnom de toutes les héroïnes de Jacquot), Célestine n’est pas à sa place. Son incapacité à se fondre dans le paysage, dans sa classe et dans son emploi, provient autant de sa nature indomptable que d’une volonté farouche de garder la tête hors de l’eau, de rêver plus haut que les autres. Plus apprêtée et maline que les autres domestiques, plus noble et aimable que ses maîtres, Célestine se bat contre son éducation, et se rappelle avec nostalgie des moments où elle mangeait des truffes et dormait dans une chambre de maître. Elle ne tient pas en place, court, s’épuise, alterne entre soumission, séduction et rébellion, teste toutes les portes de sortie possibles pour quitter son destin. « Avec vous, on ne peut pas avoir de sécurité », lui reproche-t-on.
Si le film reste sur des rails relativement sages, on ne peut qu'admirer la façon dont le scénario traduit la surprenante richesse de tons du roman d’origine, entre frivolité polissonne (la fameuse scène des bottines de Buñuel est ici remplacée par un gag de godemiché), sauvagerie grotesque, et étude sociologique. Aux réflexions de Célestine/Mirbeau sur l’opposition entre riches et pauvres et le poids de la prédestination sociale, Jacquot oppose les femmes aux hommes, et développe la piste de la prédestination féminine. Si cette femme de chambre recherche tant à respirer, c’est qu’elle observe et comprend mieux que tout le monde ces sociétés, aisées ou non, où une femme n’a aucun épanouissement personnel possible. Maitresse revêche délaissée, servante considérée comme une partie du mobilier, jeune mère abandonnée sur le trottoir, chair à bordel pour mère maquerelle affamée, fillette torturée. La mielleuse Rose (rôle dans lequel on retrouve la trop rare Rosette, chère à Eric Rohmer) ne se moque-t-elle pas de ces jeunes filles « qui consentent à se laisser violer ». « Les femmes, c’est le diable à comprendre » répond un autre personnage. On peut lire entre les lignes : pour ces gens-là, les femmes, c’est le diable tout court.
C'est l’ambiguïté du personnage de Célestine qui porte le film. A la fois grivoise et pure, elle n'hésite pas à manipuler tout le monde. Le jeu ultra-contemporain de Léa Seydoux, à la fois charismatique et boudeuse, permet d’ailleurs d’éviter les pièges poussiéreux des films à costumes traditionnels. C’est sur l’actrice que repose d’ailleurs (malgré elle ?) toute la sensualité du long métrage. Mirbeau, Jacquot, Seydoux : cette équation semblait presque garantir de la nudité à l’écran. Malgré quelques polissonnades ponctuelles, il n’en est rien. Mais même en restant intégralement habillée, l'actrice rayonne d’un érotisme rare. Moins que la destinée amoureuse de Célestine, qui n'offre pas au film ses moments les plus passionnants (dommage qu'il se termine justement la-dessus), c'est l'ardeur de son actrice qui élève l'ensemble.